Il existe une autre catégorie de formulettes à fonction distributive sur les cinq doigts de la main où chaque doigt est également personnalisé.
Mais ici, la personnalisation va plus loin, les doigts vont jouer un rôle. LAMBERT dans ses « Chants populaires du Languedoc » les a classés par thèmes : la chasse, le labour, l’œuf et le pain.
Dans ce genre de formulettes, l’enfant qui sait déjà nommer ses doigts, va commencer l’énumération non plus par l’auriculaire mais par le pouce.
Exemple de Nice (quartier Saint-Roch) :
Aqueu tua’na lebrassa,
Aqueu la fa cueire,
Aqueu la manja,
E lo marmelin, paure mesquin, qué fa ?
Leca, leca, leca, leca la sieta !
(E si faía lo geste de lecar la sieta m’au marmelin).
recueilli auprès de Gilles Lou Nissart
(Celui-là va à la chasse, celui-là tue un gros lièvre, celui-là le fait cuire, celui-là le mange, et le petit doigt, pauvre miséreux, lèche, lèche, lèche, lèche l’assiette. (Et on faisait le geste de lécher l’assiette avec l’auriculaire)
Exemple à Sospel :
Aquer pòrta una lebrassa,
Aquer la fa còser,
Aquer la manja,
E lo paure mermelin, leca, leca o tondin.
(Celui-là va à la chasse, celui-là porte un gros lièvre, celui-là le fait cuire, celui-là le mange, et le pauvre petit doigt, lèche, lèche l’assiette.)
Dans ces formulettes, la main symbolise l’unité de la famille, chaque doigt en est un individu, il tient un rôle social. L’auriculaire est toujours défavorisé. Il représente et joue le rôle de l’enfant qui peut, de cette manière se situer au sein de la famille.
Nous sommes loin de « l’enfant roi » de notre société moderne occidentale, ici il se plie à l’autorité du père chef de famille.
Ces formulettes peuvent se comprendre à un niveau plus large comme le reflet de rapport sociaux qui unissent une classe dominante à une dominée. (La chasse étant droit du seigneur jusqu’à la révolution)
Enfin, le sens de la formulette (du gros doigt vers le petit) peut se ressentir comme une fatalité ou une infortune qui tombe toujours sur le plus petit. L’auricullaire a continuellement les reliefs du repas ou rien, et il est impossible de renverser le rapport de force.
Autre exemple à Sospel :
Aquer l’espuelha,
L’autr’o fa còser,
L’autr’o manja,
E o pichinin se leca o tondin.
(Celui-là va à la chasse, Celui-là lui ôte la peau, L’autre le fait cuire, L’autre le mange, et le plus petit lèche l’assiette.)
Autres exemples occitans :
Aqueu a tuat tres chachats,
Aqueu lei pluma, lei fa coire,
Aqueu lei manja,
Aqueu, pechaire, a rèn de tot.
(Celui-là va à la chasse, Celui-là a tué trois grives litornes, Celui-là les plume, les fait cuire, Celui-là les mange, Celui-là, le pauvre, n’a rien du tout.)
Certaines formulettes sur les doigts de la main comportent une introduction qui commence par la paume.
Introduction :
la gardi dins ma man.
Aquí li a una planeta
A passat una lebreta.
Enoncé :
Aqueu la caça
Aqueu la fricassa
Aqueu la manja
E aqueu ditz : pieu, pieu,
Li a ren per ieu ?
( Ta petite main, Je la garde dans ma main. Ici il y a une petite plaine, Un lièvre est passé. Celui-là le voit, Celui-là le chasse, Celui-là la mange, Et celui-là dit : pieu, pieu, Il n’y a rien pour moi ?)
Autre exemple : Disque Ventadorn » Paraulas d’ier per enfants de deman » chanté par Nicola ‘mé leis enfants »
Introduction :
Enoncé :
Aqueu la fricassa,
Aqueu la bolhís
Aqueu la rostís
E lo paure richichiu ditz :
çò qu’arrapi es mieu.
(Quand passe une bécasse, Celui-là va à la chasse, Celui-là la fricasse, Celui-là la fait bouillir, Celui-là la fait rôtir, Et le pauvre « richichiu » dit : Ce que je saisis est mien.)
(A suivre…)