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Dans le cadre des 3ièmes rencontres Intermêles de Bon-Voyage (Nice), une conférence a réuni les passionnés de ces deux cultures le lundi 2 novembre 2015 en présence de M. Lauriano Azinheirinha adjoint au Maire de Nice, Vice-Président du département des Alpes Maritimes, de M. Jean-Louis LEBON, Président de l’Agora Nice-Est, de M. Joan-Pèire SPIES Président de l’Institut d’Etudes Occitanes (IEO-06), de M. Laurent ANDRIEUX directeur de la MJC Agora-Nice-Est. Nous remercions tout particulièrement Vanessa NEVES, cheville ouvrière de ces Intermëles qui a organisé avec brio ce moment d’échanges e de culture.

Nous vous présentons ci-dessous un résumé de cette conférence animée par Joan-Pèire BAQUIE.


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Occitan et Portugais : origine de ces langues.

Ce sont deux grandes langues romanes ou néo-latines qui se sont développées à partir d’une symbiose entre le latin populaire, importé par les soldats et les colons romains, et les structures linguistiques des idiomes primitifs parlés avant l’invasion latine.
Au Moyen Age, la langue d’oc a constitué une grande langue de civilisation.

En 813 concile de Tours parle « rusticam romanam linguam »

Au Xe siècle on peut déjà parler de l’existence des langues romanes.

Née en Limousin au XIe siècle, la poésie des troubadours a rayonné sur tous le Pays d’Oc avant de s’étendre à l’Europe. (« koïné »).

Au XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, on entend chanter occitan en France, Italie, Espagne, Portugal, Allemagne, Angleterre, Sicile : « le trobar est devenu l’affaire de toute l’Europe intellectuelle  » (Robert LAFONT)

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Bernart de Ventadorn : né vers 1125 à Ventadour, mort vers 1200 à l’Abbaye de Dalon étant moine. Il est l’un des plus célèbres troubadours occitans.

Au Portugal : Les documents les plus anciens en langue portugaise, entrecoupés de nombreuses phrases latines, sont des documents notariaux du IXe siècle. Cette phase est connue sous le nom de « proto-portugais » (entre le IXe et le XIIe siècle).

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Alfonso Sanches : (né avant 1289 – Mai 1350), troubadour portugais. Il fut un fils illégitime du Roi Denis du Portugal.

Carte chronologique montrant le développement et l’évolution de l’occitan et du portugais (dans la péninsule ibérique) depuis l’an 1000 à nos jours.

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Carte des langues romanes en Europe

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1 : français – 2 : occitan (ou langue d’oc) – 3 : arpitan (franco-provençal) 4 : castillan (espagnol) – 5 : portugais – 6 : catalan – 7 : italien – 8 : corse – 9 : sarde – 10 : Rétho-frioulan et dalmate (10 juin 1898 Tuone Udaina) – 11 : roumain.

L’apparition du terme oc, occitan, occitanie

– Au XIIIe siècle. Une des premières attestations se rencontre chez Dante qui, dans De Vulgari eloquentia. Il classe les langues romanes et notamment la Lingua d’oco. (1303)

– Les textes administratifs du XIVe généralisent l’usage de ces termes.

– Ils se raréfient avec l’imposition du français dans les territoires occitans par l’édit de Villers-Cotterêts (1539)

L’influence des troubadours occitans sur l’orthographie au Portugal.

Les digrammes « lh » et « nh » ont été adoptés depuis le Moyen-Âge en portugais (en raison de l’influence de la langue des troubadours) et de façon récente dans la graphie romane de la langue vietnamienne (Moines portugais sont allés évangéliser le Vietnam et le sud-est asiatique)

L’apport linguistique des troubadours occitans au Portugal

Les troubadours introduisent au XIIIième siècle des formes lyriques propres à la littérature occitane et de nombreux vocables issus de l’occitan (trovador, alegre, freire “ frère, moine”)

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Don Pedro Alfonso, le Comte de Barcelos et fils bâtard du roi portugais Dinis/Denis.

Les troubadours Portugais : On en dénombre 7.

Afonso Sanches
Denis Ier, roi de Portugal,
dit le Roi-Troubadour
João Garcia de Guilhade
João Soares de Paiva
João Lobeira
João Zorro
Pedro Afonso, comte de Barcelos
Nuno Fernandes Torneol

denis1ier.jpg Denis de Portugal, surnommé le Laboureur, le Roi Agriculteur, le Roi Poète, le Roi Troubadour ou le Père de la Patrie ou encore le Libéral, naquit à Lisbonne le 9 octobre 1261 et mourut à Santarém le 7 janvier 1325. Il était le deuxième fils du roi Alphonse III et de son épouse l’infante Béatrice de Castille (1242-1303) et devint le sixième roi de Portugal en 1279 (et le cinquième des Algarves) à la place de son aîné Robert qui avait été déclaré bâtard de Mahaut de Dammartin. Il est en outre considéré comme l’un des plus importants poètes troubadours portugais des XIIIe et XIVe siècles.

Portugais et occitan un air de famille

Certains mots portugais sont semblables à l’occitan, parfois avec un glissement sémantique (modification de sens) :

avelã : avelana (noisette) L’étymologie est l’adjectif latin nux abellana ce qui voulait dire « noix qui vient de la région d’Abella », une ville de la Campana près de Naples, Avella (Av) en italien moderne, où cette culture est toujours très importante.

anegar : negar (inonder, noyer) L’étymologie est le latin necare + cane « chien ». Le verbe necare signifie « tuer qn avec violence » en latin classique, mais son sens s’est restreint à « noyer » dans presque toutes les langues romanes.

butargas : potarga (caviar, caviar de muge) Un dérivé de l’occitan boutargo ou poutargo « sorte de caviar fait avec des œufs de mulet, pressés, salés, séchés et épicés ».
La première attestation en français vient de Rabelais, qui donne la forme languedocienne avec b-
Candelária : Candeliera (La Chandeleur) Dérivé de candela « chandelle » La fête du Chandeleur a été créé au IVe siècle. Elle commémore la Présentation de l’enfant Jésus au Temple de Jérusalem et la purification de la Vierge 40 jours après la naissance du Christ. Pour fêter cela on faisait une procession où les croyants portaient des chandelles allumées. De là le nom festa candelarum.

cebola : ceba (oignon) vient directement du latin cepa « oignon », qui a été conservé en roumain ceapa, en galloroman et en catalan ceba. Dans le nord de la France, cive a été remplacée dans de nombreux endroits par le type oignon.

cheda : cle(d)a (herse, ratelier pour le bétail, claie, séchoir pour les châtaignes…) vient très probablement de cleta d’origine gauloise, la langue des Celtes sur le continent. Nous trouvons des représentants de *cleta dans tous les dialectes français, en catalan, portugais, basque et piémontais

de balde : de bada (sans succès, en vain) Badar « béer, bayer » bader en français régional, badailler, badetcher (Lhubac). L’étymon doit être un latin vulgaire batare « bayer, béer », qui n’est pas attesté avant le VIIIe siècle. Déjà en ancien occitan badar signifie: « être ouvert, s’ouvrir; ouvrir la bouche; béer; regarder bouche béante » etc.

embriagado : embriac (m.)/embriaga (f.) (ivre) du latin ebriacus « ivre » un dérivé de ebrius « ivre ». Ancien occitan ebriac, embriac, ubriac.

espantar : espantar (surprendre, épouvanter, étonner) Tu m’espante! en français régional. Espantar a la même étymologie que français épouvanter. latin *expaventare qui n’est pas attesté mais qui a dû être formé très tôt en latin parlé puisqu’on le retrouve en italien spaventare, en catalan, espagnol et portugais espantar.

– galinha : galina (poule) du latin gallina . Gallina « poule » est conservé dans presque toutes les langues romanes : roumain gaina, italien gallina, catalan et espagnol galina, portugais galinha, et en ancien français geline. A partir du XIIIe siècle, on commence, notamment à Paris, à utiliser le mot poule au lieu de geline. La raison est probablement ce que nous appelons aujourd’hui le « marketing » : une poule « jeune geline » se vend mieux qu’une geline dont on ne connaît pas l’âge.
De nos jours l’histoire se répète. La poule a vieilli. C’est bon pour la soupe. Il n’y a que des poulets sur la broche !

majoral : majoral (chef, doyen d’âge, félibre) vient du latin maior comme français majeur.

parol : pairòl/pairòu ( cuve, chaudron) Etymologie gauloise *parium «chaudron »

pila : pila (auge, évier) latin pīla « mortier ». Ancien occitan pila « mortier; récipient en pierre dans lequel on conservait l’huile; vase de pierre servant de bénitier.

seda : seda (soie). Sedas vient du latin sætacium « tamis de crin ». Pour les Romains la saeta « soie » étaient les poils des chevaux ou des porcs.

tarasca : tarasca (tarasque, vieille femme, dragon) Etymologie : du nom de la ville de Tarascon. En Espagne et au Portugal tarasca signifie aussi « une femme laide et méchante »

umbigo : emborigo (nombril) du latin umbiliculus

ventrecha : ventresca (ventre de poisson, lard salé, chair salée) Ventresca, ventresco, ventreche en français régional, « chair salée » (Lhubac). Dérivé du latin venter « ventre ».

Ce mot occitan est attesté au XIIIe siècle avec le sens « entrailles d’un animal ». En occitan moderne ventresca désigne surtout « poitrine de porc, petit lard ». Le même dérivé se trouve à Gênes et en catalan ventresca « intestins des poissons », comme en espagnol et portugais ventrecha « ventre des poissons ». Celui-ci est peut-être emprunté à l’occitan.

visco : visc (gui, glu) vient du latin vĭscum « gui; glu »

Petite devinette :

orange1.jpg – Quel est le nom de ce fruit en portugais ?
– Uma laranja.
– Et son nom en niçois ?
– Un portegal.
On a retrouvé la trace d’orangers en 2200 avant Jésus-Christ en chine. C’est en en Afrique du Nord que la culture de l’oranger remonte au début de notre ère, mais, l’orange douce, telle que nous les consommons aujourd’hui, a été introduite seulement en Europe vers le XVème siècle par les marchands portugais qui l’introduisirent également en Amérique. Jusqu’au début du XXème siècle, l’orange est restée un fruit rare et cher que l’on offrait exclusivement aux enfants à Noël.

Le nom de l’orange dans d’autres langues ou dialectes :

En val d’Aoûhta – Arpitania : lo portugal
En Corse : aranciu, purtugaddu
A Guarda Piemontese – Calabre : portegal
En Francoprovenzale di Celle di San vito in Puglia: lo purtualle
En Piemontèis: un portugal
En arabe : البرتقالي : Alburtuqali
En albanais : portokall

Un prix Nobel de littérature pour ces deux cultures :

mistral.jpgFrédéric Mistral est un écrivain et lexicographe français de langue d’oc, né le 8 septembre 1830 à Maillane, où il est mort le 25 mars 1914, Prix Nobel de littérature pour son œuvre Mirèio (Mireille) écrite en occitan dans son dialecte provençal. Mistral est l’auteur du Lou Tresor dóu Felibrige (1878-1886), qui reste à ce jour le dictionnaire le plus riche de la langue d’oc, et l’un des plus fiables pour la précision des sens. C’est un dictionnaire bilingue provençal-français, en deux grands volumes, englobant l’ensemble des dialectes d’oc. Réalisé minutieusement avec l’appui de correspondants locaux, il donne pour chaque mot les variantes en langue d’oc d’un même mot, sa traduction dans les autres principales langues latines ainsi que des expressions ou citations incluant le dit mot.

josesaramago.jpgJosé de Sousa Saramago est un écrivain et journaliste portugais, né le 16 novembre 1922 à Azinhaga (Portugal) et mort le 18 juin 2010 à Lanzarote (îles Canaries, Espagne). Il est le seul Portugais décoré du Grand-Collier de l’Ordre de Sant’Iago de l’Épée et reste à ce jour l’unique auteur lusophone à avoir reçu le prix Nobel de littérature.
Saramago a été membre du Parti communiste portugais à partir de 1969. Athée, il s’est décrit lui-même comme un pessimiste. Ses positions concernant la question religieuse ont souvent provoqué la controverse au Portugal. Les milieux catholiques se sont violemment insurgés contre l’auteur après la publication de L’Évangile selon Jésus-Christ (O Evangelho Segundo Jesus Cristo, 1991) dans lequel Saint Joseph est présenté comme un couard fuyant vers l’Égypte sans prévenir les autres familles victimes d’Hérode..
À la fin de sa vie, Saramago s’engage fortement dans le mouvement altermondialiste, participant aux forums sociaux mondiaux et étant l’un des signataires du Manifeste de Porto Alegre

Le portugais langue officielle dans le monde :

3-intermeles1.jpgAngola- 
Brésil- 
Cap-Vert- 
Guinée-Bissau- 
Guinée équatoriale-(avec l’espagnol et le français)
Macao- 
Mozambique- 
Portugal- 
Sao Tomé-et-Principe- 
Timor oriental- 
Union européenne…

Et l’occitan ? Langue officielle ou pas ?

En 1990 la Généralité de Catalogne lui donne un statut de langue officielle, au même titre que le catalan et le castillan. En 2006 l’occitan devient langue co-officielle de toute de la Généralité de Catalogne.

Et l’occitan en France ? Quel est son statut ?

« Art. 75-1. Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » 21 juillet 2008.

Le Sénat vient de refuser le projet de loi de ratification de la Charte des Langues régionales ( 27 octobre 2015).

En guise de conclusion :

A quoi peut bien servir l’occitan ? Un texte de Jean JAURES.

« J’ai été frappé de voir, au cours de mon voyage à travers les pays latins, que, en combinant le français et le languedocien, et par une certaine habitude des analogies, je comprenais en très peu de jours le portugais et l’espagnol. J’ai pu lire, comprendre et admirer au bout d’une semaine les grands poètes portugais. Dans les rues de Lisbonne, en entendant causer les passants, en lisant les enseignes, il me semblait être à Albi ou à Toulouse. Si par la comparaison du français et du languedocien, ou du provençal, les enfants du peuple, dans tout le midi de la France, apprenaient à retrouver le même mot sous deux formes un peu différentes, ils auraient la clef qui leur ouvrirait, sans grands efforts, l’italien, le catalan, l’espagnol, le portugais. Et ils se sentiraient en harmonie naturelle, en communication aisée avec ce vaste monde des races latines, qui aujourd’hui, dans l’Europe méridionale et dans l’Amérique du Sud, développe tant de forces et d’audacieuses espérances. Pour l’expansion économique comme pour l’agrandissement intellectuel de la France du Midi, il y a là un problème de la plus haute importance, et sur lequel je me permets d’appeler l’attention des instituteurs. » Jean JAURES (in Revue de l’Enseignement Primaire du 15 octobre 1911)  

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Jean JAURES invité surprise à la manifestation « Anèm Òc Per la lenga occitana » du 24 octobre 2015.

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