Publicam ancuei un estudi a prepaus dau « Secret de l’Erba »de Max Rouquette.

Aremerciam Céline BAQUIE, estudianta a París en letras moderni per lo sieu mandadís.

Troverètz tanben, en visitant lo site « cardabelle », un tròç dau Secret de l’Erba embé la sieu revirada en francés.


http://www.cardabelle.fr/max-rouquette-extraits-prose-3.htm

Secret de l’Erba – Max Rouquette

Sujet : Autour de quels motifs fondamentaux s’élabore le « Secret de l’Herbe », celui de l’enfance du poète occitan Max Rouquette ?

Le « Secret de l’Erba » est un texte de Max Rouquette, poète occitan, extrait du recueil Verd Paradis. Inclassable du point de vue générique, ce texte semble hésiter entre autobiographie (dans son évocation des souvenirs d’enfance) et poésie pure ; cependant l’enjeu fondamental semble bien en être la recherche des sources, qu’il s’agisse de celles de la propre existence du poète ou bien de celles de la poésie même. Dans cette étude, nous nous efforcerons d’explorer les différents champs dans lesquels se déploie cette recherche et autour de quels motifs s’élabore le texte du « Secret de l’erba », texte fondateur de la nouvelle poésie occitane.

Lo secret de l'erba
Lo secret de l’erba

I-Un monde a-temporel : un âge d’or ?

Ce texte se présente comme un recueil précieux et poétique des souvenirs d’enfance de l’auteur, mais paradoxalement, il ne semble pas daté. Il y a pourtant des références socioculturelles qui font renvoi à une certaine époque, à un certain monde rural, à un état de fait historique et géographique, le village où l’enfance de l’auteur s’est déroulée. Mais en fait, c’est comme si le retour opéré vers l’enfance nous transportait, surtout au début du texte, vers un monde a-temporel, pré-historique pour ainsi dire. La référence à la Genèse, en exergue, n’est pas anodine : les premières lignes du poème donnent une impression de naissance et de création du monde et, les souvenirs d’enfance constituent en quelque sorte la genèse du poète. Les compléments circonstanciels de temps (« a la prima », « la nuòch, après lo sopar » ) qui scandent la vie quotidienne sont en quelque sorte annulés par l’imparfait itératif qui semble envelopper les différents souvenirs et événements dans un même présent perpétuel – qui se perpétue dans tous les cas dans la mémoire de l’auteur – ou bien annuler le sentiment d’écoulement du temps. Cette perception du temps ne semble apparaître que progressivement par le passage à l’age adulte en plusieurs étapes (grâce à la transmission par les anciens :« los vielhs nos diguèron qu’èran las mangarossas […]. E sauprèm aital que la prima èra venguda ») et symbolisée peut-être par l’arrivée de l’hiver, de septembre à la fin du texte (en effet presque la totalité du texte donne l’impression d’une temporalité de vacances).

Dans ce monde donc, qui constitue une actualisation particulière d’une sorte d’age d’or pré-temporel, et fait écho à un univers biblique de création, l’enfant apparaît quasiment comme tout-puissant. Il est d’emblée placé comme le détenteur d’un secret , il a un maîtrise certaine sur les éléments (« erem los mèstres de l’èrba »). L’enfant est à la fois placé comme observateur et acteur dans ce monde humble, à ras du sol où vit le peuple de l’herbe ; entité surplombante, il est le Dieu régisseur de ce monde : les moindres de ses actes peuvent avoir des conséquences terribles (« fasiam bufar d’un tèunhe alen de brofonhias e de tempèris que desvariavan un temps aquela paura republica de bestiòlas »). Dans sa relation avec ce monde naturel, et en bon détenteur de pouvoir il fait parfois preuve de cruauté (avec les grillons ou bien les crapauds), mais dans une sorte d’inconscience et par jeu. Cette impression de grande liberté est encore renforcée par la faible présence de règles imposée au rythme naturel de l’enfant (les repas ou l’école y sont mentionnés, mais pour cette dernière il s’agit plutôt d’être fuie par les rêveries de l’enfant). De même, les figures d’adultes sont peu présentes, celles qui font autorité (mais dans le monde du conte et de l’imagination), sont particulières, et nous y reviendrons.

Cet enfant (il convient d’indiquer ici une bonne fois pour toutes que le personnage du héros, enfant-narrateur s’inclut la plupart du temps dans un groupe d’enfants indéterminés englobés dans l’emploi de la première personne du pluriel) évolue dans un habitat qui lui semble directement et originairement lié : l’herbe, le pré, les champs, la Nature. L’enfant vit en sympathie et en empathie avec la nature : l’herbe est anthropomorphisée dans sa relation avec l’enfant (« Aquèla erba viventa e volontària avia tota la nòstra amistat. » ; amitié aussi avec le vieux figuier). Ce dernier vit au rythme des saisons et ses jeux comme le lancer de figues encore vertes et ses activités (cueillette des mauves) sont liés aux productions de la nature . Les activités de la vie quotidienne de l’enfant renvoient à tout un paysage de plantes, animaux, vents et ciels avec lesquels il entretient une relation intime.

II-Une disponibilité sensorielle qui enclenche un vagabondage poétique :

Cette relation intime avec la Nature, n’est possible qu’à condition d’une grande disponibilité sensorielle de la part de l’enfant. Et c’est le cas ici, les cinq sens sont en éveil. En tant qu’expérience originelle, le contact avec l’herbe, puissance mystérieuse qui constitue le cœur du texte, se fait par la médiation des cinq sens. De façon évidente le toucher (« las matas fernissentas las arrapàvem a plen ponhat »),l’odorat (« N’aviam las mans verdas e nòstre pas n’avia l’amar perfum »), le goût (« e volcats sus sa tèrra trencàvem de la boca sos fils amars »), la vue et l’ouîe (« Era lo temps de s’espandir per los camps jos lo cèl linde ; tressalissiàn al mendre alen ») sont mobilisés et permettent un embrassement du réel dans tous ses aspects les plus infimes.

Cette disponibilité, cet éveil des cinq sens va parfois jusqu’à la synesthésie, union de deux ou plusieurs sens et devient le relais des images poétiques les plus porteuses du texte. C’est par exemple l’union entre le toucher et l’odorat qui peut faire d’un parfum qu’il est à la fois « grèu e doç ». Cette pesanteur des parfums est un des leitmotivs du texte : les parfums sont lourds des objets, sujets et substances qui les amènent. Ainsi, le passage des vendangeurs crée « un perfum mesclat de pastura de lach e de grand vent » : ici le parfum est associé à un ensemble végétal, à un aliment et à un élément naturel (le vent). De même, le passage d’une fidèle de l’église ouvre la porte vers le monde mystérieux du culte catholique avec l’encens et la fraîcheur bien connue des églises. Mais, de façon plus générale, ce sont les domaines du concret et de l’abstrait qui se mêlent et donnent une impression de fusion des éléments entre eux. A plusieurs reprises dans le texte, image concrète (celle de la route, du chemin) et errance imaginative sont associées. Les premières lignes du texte sont constituées par les pas du souvenirs, c’est à dire, par un mouvement mental de la mémoire, or ce mouvement de l’esprit devient immédiatement mouvement dans l’herbe, à quatre pattes, attitude tout ce qu’il y à de plus naturelle et concrète pour un petit enfant. De même, le « camin de Sant Jaume » est pris au pied de la lettre, comme s’il s’agissait d’un chemin concret, alors que cette expression est un syntagme lexicalisé qui désigne la voie lactée ; voie lactée qui devient à son tour support du mouvement du rêve et de l’imagination.

Le rêve, ou « lo pantais » est en effet un des moments-clé qui rythment la vie de l’enfant et un des motifs majeurs dans la poésie du texte. Les souvenirs de l’enfance de l’écrivain donnent effectivement une large part à un univers nocturne, propice au songe. Cet univers nocturne n’est pas inquiétant, il au contraire souvent baigné d’une lumière qui est le point focal et instigateur de la rêverie, que ce soit le « clarum de luna » , les feux de la Saint-Jean ou la lanterne du berger. La disponibilité aux sensations et l’exposition directes aux forces naturelles se transforment en contemplation, activité d’où découle naturellement la création poétique. L’enfant (comme le poète), grâce à son acuité et son imagination dévoile des pans entiers du réels, inaccessibles à la plupart des hommes. « En naut, dins lo lum clar, de nivols gigantas , coma de montanhas de nèu, amolonavan d’images esbleugissents de pantais e fasian mai foncut l’espaci ». Dans cette phrase, l’imagination s’emballe et entremêle de façon oxymorique la blancheur des nuage, la clarté de la lumière et l’élan de l’imaginaire avec l’obscurité, et l’ombre amenée par le nuage qui recouvre le soleil.

III-L’enfance, le secret d’un « état poétique » :

Le lien entre le monde de l’enfance et celui des poètes est ainsi tout trouvé : ce qui les unit c’est ce même secret de l’herbe, ce même pouvoir mystérieux de voir certaines choses au sein de la plus humble réalité quotidienne. Ce qui est décrit ici sous la forme d’un recueils de souvenirs et de sensations d’enfance, c’est peut-être un « état de grâce » ou bien encore un « état poétique », pour détourner l’expression de Paul Valéry. L’enfance apparaît donc comme une époque de la vie où l’on touche au mystère. Les enfants qui sont les personnages de ce texte détiennent un savoir particulier. Le nombre de verbes dénotant l’expérience d’une connaissance est assez important : « de saber aquel poder », « las conoissiam », « conoissiam los cardons », « sauprem »… Et de fait, la disparition d’une source, celle qu’utilisaient les anciens (remontée toujours plus en arrière dans l’histoire et toujours notion de source) est assimilée à la disparition d’une vérité (« es coma una vartat perduda »). Mais en même temps que ce savoir, les enfants côtoient l’inconnu, le mystère : le « mond estrange » de la voie lactée, le pays méconnu, au delà des Cévennes, la pluie d’insectes qui a des échos de châtiment divin, la « fòrça misteriosa » de la variété de blé qui remonte dans la manche de chemise…

Mais cet inconnu n’est pas effrayant, les manifestations inexpliquées apparaissent comme évidentes car rattachées à un pouvoir mystérieux ou à un imaginaire légendaire florissant.

Cette imagination et ce pouvoir de la rêverie est nourri par les contes livrés par des figures de poètes, seules figures d’adultes sur lesquelles Max Rouquette s’attarde. Son texte contient ainsi, des images du poète lui-même et des mises en abyme de sa propre écriture. En effet, la lumière légendaire qui entoure les bergers cévenols est la même qui entoure le texte de Rouquette. Cette ambiance mystérieuse et à la limite de la légende est recréée par l’écrivain tout au long du texte même du « Secret de l’Erba ». Le secret de l’herbe, de l’enfance et de la poésie commence ainsi à nous être révélé puisque (en parlant de la légende) l’auteur nous dit : « del manit es la patria, lo païs qu’a jamai vist », décrivant ainsi l’espace (sans limites) de l’enfant qu’est celui de l’imagination. De même, le flot enchanteur des contes de Prien n’est possible seulement parce que ce dernier connaît (ou plutôt a conservé) lui aussi le secret de l’herbe. Il est intéressant de noter que ce secret est allégué comme source (« font ») de l’enchantement et de voir qu’il emploie le même vocabulaire que Rouquette : dans le premier cas il s’agit d’un royaume où la fille du roi est sauvé par Joan de l’Orsa, dans l’autre, du « reiaume dels lausièrs ». L’enfance serait ainsi un moment où l’on est gardien, grâce à un regard particulier posé sur les choses, d’un « secret » que les adultes (sauf les poètes et les conteurs) ont oublié.

Mais quelles sont les modalités de ce regard particulier, de ce secret dont Max Rouquette est en écrivant, lui aussi le gardien ? La clé semble en être l’humilité. L’observation, la contemplation et la vie dans ce milieu de l’herbe, si souvent qualifié d’humble ( tout comme la violette) nous enseigne sans doute l’humilité. A savoir le fait qu’en employant une langue proche de l’oralité ou en tous les cas en employant ses formes les plus élémentaires, on peut retrouver les échos les plus fondamentaux. Ainsi, les sujets abordés par l’écriture ne sont pas « nobles », « hauts », selon la hiérarchie des genres héritée de l’Antiquité et les porteurs de la poésie sont des gens « du commun » , mais la magie opère, le secret est transmis. Comme le dit l’auteur, les abords d’un chemin sont bien plus riches que la marge d’un livre. En outre, l’impression de la labilité de la matière ou des sensations, l’empathie avec un monde comme nouveau-né, à ras du sol, qu’est celui de l’herbe recrée un rapport nouveau et re-scelle le lien originel entre le mot et la chose. L’admiration pour l’écriture de la Bible est alors significative d’un retour aux mots des origines.

Ainsi, cette remontée dans le passé, opérée par Max Rouquette est bien plus qu’une exploration des souvenirs d’enfances, mais un véritable retour aux sources de sa propre histoire, retour aux sources du vivant, des sensations, et aux sources de la poésie et d’un langage renouvelé. Retour à l’évidence du mot qui ne fait qu’un avec la chose.

Céline Baquié L3 Lettres Modernes

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