Vequi per toi aquelu qu’an pas vist e audit lo debat sus lo mulhum lo tèxto complet. Lo tèxto es lòng, rapresenta mai de 3 oras de temps de paraula, mas sembla important per aquelu qu’aparan li « lengas regionali » de l’aver liejut en lo sieu entier per si faire una idea de la posicion e dei arguments de cadun que s’es exprimat au debat.
vice-président
DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES LANGUES
RÉGIONALES ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION
L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les langues régionales et le débat sur cette déclaration.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication –
En janvier dernier, lors de la révision constitutionnelle qui devait permettre la ratification du traité de Lisbonne, le Gouvernement avait pris l’engagement d’organiser un débat sur les langues régionales de France en réponse à une demande exprimée par nombre d’entre vous. Malgré un ordre du jour particulièrement chargé, cet engagement est aujourd’hui tenu et je m’en félicite.
C’est la première fois depuis le début de la Ve République qu’un gouvernement prend l’initiative d’organiser un débat sur ce sujet. La place des langues régionales dans notre vie culturelle et dans notre société a toujours prêté matière à controverse. Il ne faut ni s’en étonner ni s’en plaindre, car on touche à l’essence de l’identité française et de la nation. Parce qu’elles entretiennent les rapports les plus étroits avec la façon dont nous vivons ensemble, les langues jouent un rôle de catalyseur.
Ce débat est l’occasion de réaffirmer solennellement l’attachement de notre pays à son patrimoine linguistique. Si l’on retient, comme le font les linguistes, l’appellation de « langues de France » pour désigner les langues parlées depuis plusieurs générations par des citoyens français sur le territoire de la République, on ne recense pas moins de 75 langues différentes en France. Nul autre pays ne peut se targuer d’une telle richesse.
Parmi ces langues, les langues régionales ont le privilège d’avoir une assise territoriale depuis plusieurs siècles. Elles font partie intégrante de l’histoire et de la géographie de notre pays. Elles sont notre bien commun, avec le français, et participent à notre richesse et à notre rayonnement. On peut en tirer une légitime fierté.
La diversité de ces langues est le miroir même de la diversité française. Songeons seulement à la si originale langue basque, présente sur notre territoire bien avant le latin et le gaulois. Songeons au breton, venu de Grande-Bretagne au Ve siècle, et qui est la seule langue du groupe celtique encore parlée sur le continent. Songeons aussi au flamand, au francique, à l’alsacien, au corse, à toutes les langues d’oïl et d’oc. Songeons enfin, outre-mer, à ces langues amérindiennes dont l’ancienneté est immémoriale et qui côtoient, en Guyane, un créole en formation depuis seulement quatre cents ans. La France a été façonnée par des hommes et des femmes parlant des langues très diverses, germaniques, celtiques, romanes, et même des langues qui ne sont pas indo-européennes. C’est une réalité qu’on a tendance à oublier ou à occulter : le grand chant national est un chant à plusieurs voix. Ils parlaient provençal et breton, les cinq cents Marseillais et les trois cents Brestois qui ont pris d’assaut les Tuileries, le 10 août 1792, abolissant la monarchie et ouvrant un chemin triomphant à la République !
Avec ses ombres et ses lumières, l’Histoire a fait son œuvre. Notre pays a connu un processus d’unification linguistique sans équivalent dans le monde. Point d’aboutissement, un amendement à la Constitution a fait du français, en 1992, la langue officielle de la République, alors qu’aucun texte ne le prévoyait jusque-là. Deux ans plus tard était adoptée la loi Toubon, relative à l’usage de la langue française. Grâce à ces deux textes, qui offrent les meilleures garanties juridiques, la langue nationale continue à tenir son rôle symbolique dans notre pays, mais aussi sa mission culturelle et son irremplaçable fonction de ferment de la cohésion sociale.
Nous ne sommes plus au temps où les écoliers corses ou alsaciens étaient punis pour avoir prononcé en classe quelques mots dans leur langue. Mais il faut reconnaître que les langues dites régionales ont souffert de ce processus d’unification, parfois proche d’un culte de la langue unique. La généralisation du français dans un pays où la moitié des citoyens ne maîtrisaient pas cette langue, ce beau programme émancipateur cher aux hommes de la Révolution et mis en œuvre par la Troisième République, n’a pas été pour rien dans le lent recul des langues régionales en France.
Moins de 10 % des Français pratiquent aujourd’hui une langue régionale de façon régulière, et les langues de France ne se transmettent plus guère dans le cadre familial. On peut le déplorer, mais c’est un fait. En 1999, seul un Français sur quatre avait reçu de ses parents une langue autre que le français, et un Français sur huit une langue régionale. Au sein de cette minorité, seul un Français sur trois avait à son tour transmis cette langue à ses enfants. Si la pluralité des langues est une réalité objective et constitutive de notre identité, c’est aussi une réalité menacée en France.
Nous avons pris conscience de cette menace depuis plusieurs décennies, et nous portons aujourd’hui un regard nouveau sur la pluralité culturelle dont est pétrie l’identité française. Pourquoi l’apprentissage du français supposerait- il de désapprendre d’autres langues ? Et à quel titre la langue commune devrait-elle être la langue unique des Français ? L’heure est au pluralisme. En matière de langage, la société française se transforme à vive allure, dans ses pratiques comme dans ses représentations. La demande sociale, dont beaucoup d’entre vous se font l’écho, ne saurait être sous-estimée.
Le patrimoine immatériel, la force vivante mais menacée que sont les langues de France, exigent un effort de sauvegarde et de valorisation. C’est le rôle des pouvoirs publics que de le conduire, et le Gouvernement s’y engage. L’effort doit principalement porter sur l’enseignement, les médias et l’action culturelle, qui sont les principaux vecteurs de vitalité et les meilleures garanties d’avenir pour des langues dont la transmission n’est quasiment plus assurée sur le mode traditionnel, c’est-à-dire par l’intermédiaire de la famille et du milieu d’origine.
Comme mon collègue Xavier Darcos pourrait le confirmer, les langues régionales ont toute leur place dans notre système éducatif. Selon une enquête réalisée par la direction générale de l’enseignement scolaire, 404 000 élèves ont reçu en 2005 et 2006 un enseignement de langue régionale. Ces effectifs ont augmenté de façon spectaculaire, puisqu’ils ont décuplé en quinze ans et triplé au cours des cinq dernières années.
M. François Goulard – C’est un signe !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Il y a en effet une réelle attente des familles et des plus jeunes. Dans le premier degré, près de 9 000 professeurs ont dispensé un enseignement en basque, breton, catalan, corse, créole, alsacien, francique mosellan, langues d’oc, ou encore tahitien. Des CAPES ont été créés pour le second degré, où 621 professeurs se consacrent à temps partiel ou à plein temps à l’enseignement des langues régionales. Tous ces personnels bénéficient d’un accompagnement, essentiellement sous forme d’actions de formation.
L’enseignement des langues et cultures régionales peut prendre deux formes différentes : des cours centrés sur l’apprentissage de la langue elle-même, ou bien une filière bilingue spécifique, où les cours sont dispensés pour moitié dans la langue régionale et pour moitié en français.
La loi d’orientation et de programme du 23 avril 2005, dite loi « Fillon », précise par ailleurs que le développement et la valorisation des langues régionales doivent s’inscrire dans le cadre d’un partenariat étroit avec les collectivités territoriales sous forme de conventions. Il faut saluer l’implication de plus en plus forte des collectivités, qui ont contribué pour plus de trois millions d’euros à des actions de diffusion et d’enseignement en 2005-2006.
Présentes dans les cursus scolaires, les langues régionales le sont aussi dans les médias. Le Gouvernement veille à ce qu’aucun règlement n’entrave la libre expression des langues régionales, et les publications écrites peuvent également obtenir un agrément auprès de la commission paritaire des publications et agences de presse, afin de bénéficier d’allégements fiscaux et postaux. Depuis 2004, le système d’aide à la presse hebdomadaire régionale, jusque-là réservé aux publications en langue française, a en outre été étendu aux « langues régionales en usage en France ».
Dans le domaine de l’audiovisuel, la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication précise que les sociétés chargées de missions de service public doivent mettre en valeur le patrimoine culturel et linguistique dans sa diversité régionale et locale. Les cahiers des charges de Radio France, de RFO et de France 3 prévoient ainsi que ces sociétés contribuent à l’expression des langues régionales.
Plusieurs députés du groupe UMP – Il reste des progrès à faire !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Chaque jour, plusieurs centaines de programmes sont diffusés sur le territoire français dans une dizaine de langues régionales, notamment outre-mer. La présence des langues régionales peut aller de quelques minutes à plusieurs heures par jour, selon les langues, les chaînes ou les stations et selon le type de média. Toutefois, comme le Président de la République l’a indiqué, le temps accordé aux langues régionales dans l’audiovisuel public reste trop faible. C’est d’ailleurs une des principales doléances dont on vous fait part. Pour ma part, je veillerai à ce que les obligations du service public soient honorées. Le rattachement de la direction des médias à mon département devrait aller dans ce sens.
La création d’une délégation générale à la langue française et aux langues de France, en 2001, témoigne de notre volonté de mener durablement une politique équilibrée, tenant compte de la pluralité des langues parlées sur notre territoire. L’ancrage de notre politique linguistique au sein même de notre politique culturelle invite d’ailleurs à considérer les langues non pas comme de simples outils de communication, mais comme la source d’inspiration d’œuvres de l’esprit. C’est pourquoi l’État soutient des œuvres qui, loin de tout folklore, consolident la place des langues de France dans notre paysage culturel.
Le livre est évidemment le principal support de diffusion culturelle. En aidant l’édition et la traduction d’ouvrages en langues régionales, le ministère de la culture contribue à diffuser des littératures encore méconnues et des œuvres majeures de notre patrimoine. Autres modes d’expression privilégiés : le théâtre et la chanson – je songe par exemple au Théâtre de la Rampe, une scène occitane très dynamique, ou au succès du site internet « Langues de France en chansons ». Dans dix jours, la « Nuit des musées » s’ouvrira pour la première fois aux langues régionales, de l’Alsace au Pays basque et au Midi, et permettra au public de mieux prendre la mesure de notre diversité linguistique qu’illustrent également de très nombreux festivals où émergent de nouveaux talents. Je pense en particulier à « Vibrations caraïbes » et « Influences caraïbes », où s’exprime la créativité des artistes créoles de France. Enfin, n’oublions pas le cinéma : Sempre vivu, de Robin Renucci, a été partiellement réalisé en langue corse, et un film récemment plébiscité par le public a témoigné de l’attachement de nos concitoyens aux langues régionales – car chacun le sait, le ch’ti est du picard !
J’attache une importance particulière à la recherche dans le domaine des langues régionales. Le CNRS participe ainsi à la publication d’un catalogue unique de fonds sonores en langues de France sur le site « Corpus de la parole ».
La transmission des langues régionales s’appuie sur l’école, sur les médias et sur la création artistique. Pour autant, leur vitalité ne peut durer que si elles sont employées dans la vie quotidienne. À ce titre, leur usage dans l’espace public ne doit pas être négligé. La législation actuelle, bien que contraignante, leur offre une large visibilité – et toutes les possibilités ne sont pas pleinement exploitées. Ainsi, les actes officiels des collectivités territoriales peuvent être publiés en langue régionale – pourvu qu’ils soient traduits du français, seule langue ayant valeur juridique. De même, il est parfaitement légitime que les communes affichent leur toponyme en deux langues à l’entrée et à la sortie de leur territoire, ou que la signalisation routière soit bilingue. Qu’y a-t-il de choquant à s’orienter grâce à des panneaux bilingues en Bretagne ou, dans ma ville de Toulouse, à lire le nom de la Place du Capitole en occitan ? Dans tous ces domaines, la France a nettement dépassé les objectifs énoncés dans la Charte européenne des langues régionales, signée par le Gouvernement en 1999 mais non encore ratifiée, pour les raisons que vous savez et sur lesquelles nous reviendrons.
L’État ne peut pas être le seul à valoriser les langues régionales. L’avenir de celles-ci appartient d’abord aux citoyens : libre à eux d’exprimer sous quel régime linguistique ils entendent vivre. Aujourd’hui, une grande majorité de Français semblent souhaiter la reconnaissance des langues régionales et leur coexistence dans le cadre d’un plurilinguisme interne. Encore faut-il que les pouvoirs publics organisent les conditions de ce plurilinguisme. Les collectivités territoriales doivent être associées à cet effort. Elles peuvent d’ores et déjà signer avec l’État des conventions en matière d’enseignement, ou avec des instances de promotion des langues telles que l’Office de la langue bretonne…
M. François Goulard – Un instrument remarquable !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – …l’Office public de la langue basque, ou encore l’Académie des langues kanaques et le Centre interrégional de développement de l’occitan.
Au cours de son histoire, le français n’a cessé de s’enrichir au contact des autres langues de France avec lesquelles il a échangé des milliers de vocables. Notre politique linguistique autorise désormais la France à se prononcer en faveur du plurilinguisme à l’échelle européenne. Les langues régionales, en effet, sont une mise à l’épreuve concrète de la démocratie culturelle. Elles sont le laboratoire où nous pouvons nous penser tels que nous sommes et accepter, dans toutes ses implications, la diversité culturelle d’une France politiquement unie.
Nous nous sommes parfois opposés, dans cet hémicycle, quant à la place des langues régionales dans notre société. Ce débat traverse d’ailleurs l’ensemble des familles politiques, car la langue est une composante essentielle de notre identité, qui touche au plus intime de nos convictions. J’espère qu’il sera conduit avec sérénité, et dans le respect des sensibilités de chacun (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC).
M. Michel Vaxès – Que ce débat, trop longtemps repoussé, ait enfin lieu, témoigne du succès de celles et ceux qui, pendant des décennies, ont résisté à une conception réductrice des questions linguistiques. À un modèle social marqué par la domination et la hiérarchisation, ils préfèrent la solidarité, le partage, la tolérance.
Voilà qui témoigne d’une opinion de plus en plus répandue, selon laquelle l’universalité de la culture n’est pas contradictoire avec la diversité de ses sources et la spécificité de ceux dont elle est l’expression. Le refus grandissant de toute hiérarchie normative a renforcé l’exigence d’une création diverse, miroir des savoirs et des expériences de chacun. C’est ainsi que, sans la moindre polémique, la délégation générale à la langue française est devenue, en 2002, la délégation générale à la langue française et aux langues de France.
Le débat sur ces langues, leur reconnaissance et leur place dans la République doit être abordé sereinement. Le plurilinguisme est une expression de la richesse humaine, et notre diversité linguistique est un atout qu’il faut non seulement défendre, mais aussi exploiter dans l’espace privé comme dans l’espace public.
Au-delà d’une nécessaire modification constitutionnelle, il faudra donc donner un statut législatif aux langues de France. À défaut, nous menacerions une part de notre patrimoine culturel. Voilà bien longtemps que les parlementaires communistes réclament une loi, qu’ils ont proposée en 1986 puis en 1988, à l’initiative de M. Hermier. Hélas, l’interprétation que le Conseil constitutionnel a donnée de l’alinéa de la Constitution adopté le 25 juin 1992, interdit l’examen de nos propositions.
Aujourd’hui, nous en sommes donc à débattre encore de certaines questions qui devraient être résolues depuis longtemps : le dynamisme de notre héritage culturel, les évidents bienfaits cognitifs et pédagogiques du bilinguisme, l’utilité de la langue du terroir pour comprendre un milieu local et même la langue française elle-même, l’ouverture qu’offrent nos langues régionales à des espaces culturels voisins, l’indispensable tolérance à adopter face à une telle diversité, et enfin la contradiction qu’il y aurait pour la France à militer en faveur du respect de la diversité culturelle dans le monde tout en la refusant sur son propre territoire. Hélas, au nom de présumés risques identitaires, toute discussion sur la reconnaissance des langues régionales a été rejetée. Ce rejet était pourtant lui-même un repli, qui portait les mêmes risques que celui que l’on cherchait à éviter !
M. Marc Le Fur – Très bien !
M. Michel Vaxès – Le moment est venu de consentir un effort national de reconquête qui permettra de relancer l’essor culturel de la France.
La pluralité linguistique française existe depuis les origines de notre pays, lorsque les rois de France annexèrent des territoires voisins. L’indispensable diffusion d’une langue commune en a imposé l’usage exclusif dans l’espace public, les autres étant confinées à l’espace privé. Cette idée, apparemment logique mais, au fond, biaisée, a servi à justifier le rejet ancien de tout ce qui n’est pas français – un rejet qui est à lier au mépris du parler des gens de peu. Jadis, même ainsi confinées, les langues régionales pouvaient encore être transmises, mais ce n’est plus le cas dans l’Europe d’aujourd’hui. Nos voisins l’ont d’ailleurs bien compris, qui autorisent la présence de langues régionales à l’école ou dans les médias. Quand délaisserons- nous enfin le mythe d’une société monolithique où toute différence est jugée comme une déviance ? Ce mépris séculaire a provoqué le déclin des langues de France et le reniement par les locuteurs concernés d’une partie de leur identité. Pourtant, la cohésion nationale n’en a pas été renforcée : chacun sait que les conflits sociaux sont toujours d’ordre économique ou politique, jamais linguistique.
Quand comprendrons- nous que c’est la solidarité et le respect des autres qui créent la cohésion du corps social ? Quand admettrons-nous qu’il est urgent d’encourager le respect de la diversité des langues et l’échange culturel ? La cohésion nationale repose à la fois sur la coexistence des expressions les plus diverses et sur l’adhésion de tous à un projet collectif – adhésion qui, en retour, suppose l’acceptation par la collectivité nationale de ses héritages linguistiques et culturels les plus variés.
Ainsi, l’école et les médias doivent prendre acte de l’existence des langues de France, afin de leur confier une part d’universalité . À ce titre, la loi Deixonne de 1951, issue d’une proposition de M. Tourné et de deux propositions communistes de 1948 sur le breton et le catalan, fut un progrès incontestable, puisqu’elle reconnaissait la valeur de certaines langues régionales et organisait leur enseignement. Elle était pourtant trop restrictive, puisqu’elle ne concernait que le catalan, l’occitan, le basque et le breton, auxquels ont été justement ajoutés depuis le corse, l’alsacien et les créoles.
Il faut désormais reconnaître toutes ces cultures régionales et fournir un important effort de revitalisation. L’État doit être le garant des langues de France et de leur statut, et l’acteur de cette reconnaissance. Il doit assumer ses responsabilité s en direction des médias et des institutions culturelles comme dans le domaine de l’enseignement. À côté de l’État, les autres collectivités territoriales ont leur rôle à jouer dans l’accompagnement de la politique générale concernant les langues de France. Cela implique la mobilisation de ressources financières complémentaires, l’aide à la création, et d’une manière générale, tout ce qui concerne l’expression à l’échelle locale de la spécificité linguistique et culturelle.
Les institutions européennes sont elles aussi concernées. D’abord, parce que certaines langues de France sont aussi transfrontaliè res ; ensuite, parce que la question des langues régionales se pose maintenant à l’échelle européenne. Au niveau mondial, les recommandations de l’ONU en matière de droits de l’homme et celles de l’UNESCO en matière de préservation de la diversité linguistique et culturelle doivent être prises en compte dans l’élaboration de la loi.
Les parlementaires communistes soutiennent des propositions élaborées avec les associations qui militent pour la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle dans notre patrimoine national.
S’il n’est guère pertinent de revendiquer une parité absolue entre le français et les autres langues, ces dernières doivent avoir une place dans l’espace public qui leur permette d’être visibles et audibles. C’est la condition première de leur pratique. Si l’accès aux langues régionales à l’école doit continuer à relever du libre choix, être « facultatif, optionnel mais de droit », disions nous dans notre proposition de 1988, l’institution a l’obligation de rendre ce choix effectivement possible, par une offre généralisée, partout où l’une de ces langues est pratiquée, partout où une demande significative se manifeste.
Plusieurs députés du groupe UMP – Très bien !
M. Michel Vaxès – Cela implique une information complète et précise de toutes les familles ; une véritable politique de recrutement d’enseignants de la maternelle à l’Université ; le développement des filières bilingues à parité horaire et de l’enseignement par immersion dans l’Éducation nationale comme dans le secteur associatif pour les familles qui le souhaiteraient ; une valorisation au niveau des examens et concours par l’ouverture d’épreuves bénéficiant de coefficients incitatifs ; une vraie place pour les langues régionales dans l’enseignement supérieur et les grands organismes de recherche ; un développement de l’enseignement pour adultes, qui correspond à une demande et peut fournir des compétences professionnellement utiles. Enfin, une information minimale sur l’existence des langues et cultures régionales doit être offerte sur l’ensemble du territoire et intégrée dès le socle commun aux programmes de l’Éducation nationale.
Si certains cahiers des charges de radios ou télévisions publiques prévoient – vous l’avez rappelé Madame la ministre – la prise en compte des cultures régionales, dans la réalité, celles-ci sont souvent cantonnées à la seule dimension folklorique. Les grands réseaux nationaux – et pas seulement France 3 – doivent mettre plus de moyens et d’horaires à la disposition des producteurs d’émissions en langues régionales. La création de chaînes de télévision publiques propres aux diverses langues régionales répondrait à la revendication commune des associations les plus représentatives de chacune de ces langues. Au moment ou les radios associatives émettant en langue régionale risquent de voir leur financement asséché par la fin annoncée de la publicité – dont une partie des recettes leur était destinée – il convient que des financements publics nouveaux leur soient alloués. La création en langue régionale doit être soutenue par une aide accrue du ministère de la culture, en partenariat avec les collectivités locales, afin de favoriser le contact et l’échange entre les créations et les grands lieux d’affichage culturel que sont par exemple les diverses manifestations nationales et régionales. Cette ouverture serait le meilleur moyen de lutter contre la ghettoïsation de ces langues et des cultures dont elles sont porteuses.
La mise en place d’une politique ambitieuse permettant à la nation de reconnaître la diversité de ses pratiques linguistiques doit s’accompagner de la création d’instances de contrôle indépendantes chargées de faire respecter la loi, de suivre l’évolution de sa mise en œuvre et d’évaluer les effets des mesures prises. Ses observations devraient faire l’objet d’un rapport annuel devant la représentation nationale.
La cohésion sociale, garante de l’unité républicaine, suppose que notre République accueille enfin la diversité comme une richesse à partager entre tous. L’année 2008 est « l’année internationales des langues », dit l’Unesco ; profitons-en pour prolonger ce débat par l’élaboration d’une loi sans laquelle nos échanges d’aujourd’hui ne seraient que bavardages stériles. Une loi qui donne enfin aux langues de France leur vraie place dans la nation. Voilà ce que nous réclamons ! Et j’invite ceux qui ne seraient pas encore convaincus à méditer cet extrait d’un discours sur le colonialisme prononcé le 26 février 1986 par Aimé Césaire aux États-Unis : « La négritude a été une révolte contre ce que j’appellerai le réductionnisme européen. Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l’instinctive tendance d’une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même, pour faire le vide autour d’elle en ramenant abusivement la notion d’universel, chère à Léopold Sédar Senghor, à ses propres dimensions…
M. le Président – Il faut conclure.
M. Michel Vaxès – … autrement dit à penser l’universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres. On voit les conséquences que cela entraîne. Couper l’homme de lui-même, couper l’homme de ses racines, couper l’homme de l’univers, couper l’homme de l’humain et l’isoler en définitive dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie ». Je voulais rendre cet ultime hommage à Aimé Césaire (Applaudissements sur presque tous les bancs).
M. Michel Hunault – Je me félicite à mon tour, au nom de mes collègues du Nouveau Centre, de l’inscription à l’ordre du jour de cette déclaration du Gouvernement sur les langues régionales, suivie d’un débat. C’est une occasion rare, qui suscite beaucoup d’espoir pour tous ceux qui souhaitent la reconnaissance des langues régionales en France.
Disons-le très directement : organiser ce débat n’est pas contradictoire avec l’exigence de la maîtrise de la langue française posée par le ministre de l’Éducation nationale, non plus qu’avec l’enseignement des langues étrangères, indispensables dans le contexte de la mondialisation. Je tiens par ailleurs à saluer l’immense travail des hommes et des femmes engagés dans la francophonie, qui font que la langue française, support de notre culture, est véhiculée partout dans le monde.
Pour autant, les langues régionales sont indissociables de nos régions. Vous l’avez du reste rappelé à l’instant, Madame la ministre, « les langues régionales font partie intégrante de notre pays ».
Le Conseil de l’Europe, cette grande et vieille institution créée au lendemain de la dernière guerre, symbole de la démocratie et des droits de l’homme et porteuse d’un idéal, a adopté la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Pourquoi ? L’assemblée de Strasbourg considère à juste raison que la protection des langues régionales ou minoritaires historiques de l’Europe contribue à maintenir et développer les traditions et la richesse culturelle du continent.
M. Daniel Mach – Très bien !
M. Michel Hunault – Il est urgent de s’en soucier, car certaines langues risquent de disparaître au fil du temps. Elles sont aujourd’hui menacées, vous l’avez dit Madame la ministre.
Que dit la Charte ? Elle considère que la pratique d’une langue régionale est un droit, et précise – ce qui est essentiel pour notre débat – que la protection des langues régionales ou minoritaires ne doit pas se faire au détriment des langues officielles. Là-dessus, nous pouvons tous nous rassembler. Le Président de la République, alors qu’il était candidat à l’élection suprême, déclarait le 9 mars 2007 : « Le patrimoine linguistique de la France, ce n’est pas seulement le français ; c’est aussi l’extraordinaire richesse de ses langues régionales ! Je souhaite que leur enseignement soit pris en charge par l’Éducation nationale, que l’on soutienne leur pratique et leur diffusion ». Et de préciser : « Refusons la logique de confrontation avec le français, élément de l’unité française que nous avons mis si longtemps à construire et qui reste le bien le plus précieux – mais aussi le plus fragile – que nous ayons à léguer à nos enfants ». Cette position, je la fais mienne !
Être favorable aux langues régionales soulève nécessairement la question de la Charte européenne. Sa ratification – vous l’avez rappelé Madame la ministre – nécessiterait de compléter l’article 2 de notre Constitution. Il faut s’interroger néanmoins sur les conséquences d’une telle révision : à titre personnel, je ne pense pas qu’il soit souhaitable de donner à un juge européen les moyens de se prononcer sur un élément fondateur de notre pacte républicain.
Mais le présent débat montre que l’on peut dès aujourd’hui tout mettre en œuvre pour reconnaître, transmettre et pérenniser la connaissance et l’enseignement des langues régionales. Faisons en sorte d’atteindre les objectifs applicables à l’ensemble des langues régionales et minoritaires tels qu’ils figurent dans la Charte. Quels sont-ils ? La reconnaissance des langues régionales en tant qu’expression de la richesse culturelle ; la nécessité d’une action résolue de promotion des langues régionales afin de les sauvegarder – et vous avez cité, Madame la ministre, un certain nombre d’actions concrètes qui vont déjà dans ce sens grâce à l’appui des collectivités territoriales ; des moyens d’enseignement et d’étude des langues régionales ; la promotion de la recherche sur les langues régionales dans les universités.
Je m’attarde sur la question de l’enseignement. À l’heure actuelle, la demande d’enseignement des langues régionales n’est pas considérée par l’administration comme un droit, mais comme une possibilité que l’on accorde en fonction des disponibilité s en enseignants. C’est une question sensible, et pas seulement en Bretagne ! Il faut améliorer les conventions entre l’État et certaines écoles bilingues, en prévoyant de prendre en charge les enseignants.
Notre collègue Vaxès demandait à l’instant que l’on vote une loi pour prolonger ce débat. Plus modestement, je suggère que sous votre autorité, Madame la ministre, et celle de votre collègue de l’Éducation, une table ronde associe les parlementaires pour fixer des objectifs et dégager des moyens humains, en vue de faciliter – à titre facultatif – l’enseignement des langues régionales. Elles ont en effet toute leur place dans notre système éducatif (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP).
Le débat qui a lieu cet après-midi dans cet hémicycle, symbole de la démocratie et de l’unité de la nation, n’est pas anachronique. Dans une économie mondialisée, démontrons que l’exigence de la maîtrise du français et d’une ou plusieurs langues étrangères n’est pas contradictoire avec la sauvegarde de nos racines et de notre identité culturelles.
Vous avez cité, Madame la ministre, l’office de la langue bretonne : je souhaite, à l’occasion de ce débat, que l’on rende hommage à tous ceux qui contribuent – souvent au sein d’associations bénévoles – à pérenniser des langues qui sont parties intégrantes de notre identité et de notre culture (Applaudissements sur les bancs du groupe NC et du groupe UMP).
M. Marc Le Fur – Pour la première fois dans cet hémicycle, nous consacrons un débat aux langues régionales. Hommage en soit rendu au Premier ministre, qui en avait pris l’engagement. Jusqu’à présent, nous n’avions abordé le sujet qu’au détour de divers textes ; aujourd’hui, nous abordons de front la question des langues de métropole et d’outre-mer – notre bien commun, comme l’a dit Mme la ministre.
Ce ne doit pas être un aboutissement, mais un commencement. Beaucoup de mes collègues UMP auraient aimé s’exprimer et ne pourront pas le faire – je pense notamment à Daniel Poulou, Jean Grenet, Christian Ménard, Jacques Le Nay ou Gabrielle Louis-Carabin. Ce débat passionnant touche en effet les esprits et les cœurs de chacun d’entre nous ; pour ma part, j’ai eu la chance d’apprendre le breton enfant, et plus tard j’ai découvert le gallo.
Mais pour éviter que ce débat devienne passionnel, nous devons combattre l’ignorance, l’arrogance de certains et les idées reçues. La première, c’est que nous ne serions qu’une minorité à nous intéresser à ces questions. Je rends hommage à tous ceux qui s’investissent depuis longtemps et ont été parfois moqués, voire insultés. Au-delà des locuteurs, il y a tous ceux qui s’intéressent aux langues parce qu’elles sont un élément d’identité ; les diasporas de nos régions y sont souvent particulièrement attachés. Bienvenue chez les Ch’tis est un phénomène plus sociologique que cinématographique : il montre que les gens ont besoin de racines.
Nous devons aussi combattre l’idée que les langues ne seraient qu’une survivance, une affaire de vieux : il suffit d’aller dans les fest-noz, d’écouter la musique celtique pour comprendre que les langues sont bien souvent un élément de modernité.
Quant à l’idée que les langues seraient un instrument de repli, elle ne tient pas davantage : ce sont souvent les régions les plus identitaires qui sont le plus à l’aise dans la mondialisation : comme si pour aller loin, il fallait un port d’attache. Il faut en finir avec un jacobinisme anachronique et outrancier que l’on rencontre dans toutes les familles politiques – chacun a son Mélenchon…
M. Philippe Martin – Hélas non !
M. Marc Le Fur – Alors, que peut-on faire de concret ? D’abord, comme nous le disait hier David Grosclaude, il y a l’enseignement, de la crèche à l’université ; mais il y a aussi les médias – et pas seulement FR3 – et Internet, à propos duquel je salue le combat de Christian Ménard. Nous voulons aussi qu’on aille plus loin en matière de signalétique.
Nous devons être très ambitieux – car nos idées passeront au laminoir – et nous inspirer de l’idée du Général de Gaulle en 1969 : ne redoutons pas nos différences, mais au contraire sachons nous en enrichir. Et au-delà de la Charte que nous devons évidemment adopter à l’instar des autres pays européens, faisons notre travail de législateurs : j’espère, Madame la ministre, que vous allez nous annoncer une loi qui sera l’aboutissement de la promesse faite par le candidat Sarkozy et qui traitera à la fois de principes, de questions concrètes, de méthode et de moyens. Je souhaite que nous puissions en débattre en 2009.
Le mot « égalité » qui figure dans notre devise républicaine ne veut pas dire « uniformité » : l’unité peut se concilier avec l’altérité, nous ne sommes pas des clones les uns des autres ! Sachons nous enrichir de nos différences, et j’espère que ce débat y contribuera (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Françoise Olivier-Coupeau – En tant que présidente du groupe d’études sur les langues régionales, je me réjouis beaucoup de l’organisation ce débat. Il est grand temps, en effet, que la représentation nationale puisse débattre sereinement de cette question. Nous devons tordre le cou aux idées préconçues afin de vaincre la frilosité de nos institutions et de convaincre le gouvernement qu’il convient de considérer notre revendication comme une source de richesse pour la Nation et non comme une menace pour la République ou la manifestation d’un combat d’arrière-garde.
Néanmoins, permettez-moi de déplorer la programmation d’un débat d’une telle importance un 7 mai en fin de journée, à la veille de commémorations nécessitant la présence des parlementaires dans leur circonscription.
Depuis des dizaines d’années, les organismes internationaux et européens n’ont cessé de développer une approche valorisant la langue et la culture comme éléments du patrimoine de l’humanité. Le plurilinguisme est considéré pour eux comme un trésor qu’il faut faire vivre et progresser. Mais la France, qui a la chance de posséder 75 langues régionales, les laisse peu à peu s’éteindre ; elle n’adopte pas la politique linguistique volontariste et le dispositif législatif spécifique qui seraient nécessaires à leur survie.
Je suis attachée à l’unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale. Oui, la reconnaissance de nos héritages culturels et linguistiques doit réfuter toute forme de communautarisme. Mais l’égalité n’est pas l’uniformité. Se sentir profondément Bourguignon, Provençal ou Corse n’empêche pas d’être Français ; parler, chanter en breton, alsacien ou basque n’empêche pas d’être patriote ! Affirmer son identité culturelle ne doit pas être considéré comme un refus des valeurs de la République ; vouloir parler sa langue ancestrale ne témoigne pas d’un repli identitaire. Il s’agit au contraire d’y puiser, pour le compte de tous, une force supplémentaire dans un contexte de mondialisation.
La non-reconnaissance de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires par la France, basée sur une interprétation contestable d’une décision du Conseil Constitutionnel, n’aboutit qu’à une uniformisation factice de l’identité française. Dans toute l’Europe s’épanouissent les langues régionales, que ce soit en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ; 40 millions de citoyens européens utilisent régulièrement une langue régionale ou minoritaire, transmise de génération en génération, sans que l’affirmation de leur différence pose un problème particulier. Il est grand temps que notre pays, patrie des Droits de l’Homme, fasse droit à la diversité, à l’histoire et à l’avenir.
Tel est le sens de la proposition de loi que nous avons déposée, visant à compléter l’article 2 de la Constitution en précisant que « la langue de la République est le français, dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».
M. Paul Giacobbi – Très bien !
Mme Françoise Olivier-Coupeau – Cette phrase résume parfaitement la finalité que nous donnons à ce débat (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales – Je tiens à apporter mon total soutien à tous les collègues ici présents. J’ai mesuré au cours des réunions préparatoires la détermination et la qualité des arguments de tous ceux qui estiment qu’un plus grand respect des langues régionales serait un enrichissement pour nous tous.
À quoi ce débat doit-il aboutir ? Il y a trois hypothèses : ratification de la Charte, vote d’une loi, mention dans la Constitution du respect dû aux langues régionales.
Notre histoire est encore profondément marquée par l’idée que l’on est citoyen au moyen de la maîtrise d’une langue, aux dépens des autres. La crainte que les langues régionales fragilisent l’identité nationale demeure bien présente chez certains. Pourtant, la participation de la France à l’Union européenne a entraîné une évolution de notre conception de l’État-nation. Il en va de même des grandes lois de décentralisation. Les citoyens français ont découvert que d’autres pays européens avaient réussi à concilier remarquablement valorisation des cultures et des langues régionales et maintien d’une identité nationale. Et comme l’a dit l’un de nos collègues, la vitalité de certaines régions n’est-elle pas due pour une part aux repères que donne la culture régionale, qui facilite le développement économique ?
Progressivement, la France a pris conscience de la richesse de son patrimoine linguistique et de la créativité des expressions artistiques. Aimer la langue de sa région et vouloir la transmettre, ce n’est pas trahir la France, mais l’enrichir. Dès lors, comment lever les obstacles à l’utilisation, l’enseignement et la diffusion des langues régionales ? Je regrette profondément que le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations – que la commission des affaires culturelles étudiera la semaine prochaine – n’ait pas retenu l’article 5 de la directive européenne, qui porte sur l’action positive et précise que, « pour assurer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l’origine ethnique ». Peut-être la CMP permettra-t- elle de réparer cet oubli ? C’est en tout cas dans cette voie que nous devons progresser afin de renforcer la cohésion sociale en France, comme le montre l’expérience d’autres grands pays.
La ratification de la charte des langues régionales pourrait le permettre, à condition d’apporter à la Constitution la légère modification évoquée tout à l’heure – « la langue de la République est le français, dans le respect des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine », on éviterait ainsi une nouvelle censure du Conseil constitutionnel.
Mme Marylise Lebranchu – Très bien !
M. Pierre Méhaignerie, président de la commission – En outre – M. Le Fur l’a rappelé –, en manifestant son attachement aux langues régionales, l’État se ferait l’écho de la déclaration de Nicolas Sarkozy le 9 mars 2007 : « Une grande patrie est faite d’une multitude de petites patries, unies par une formidable volonté de vivre ensemble ».
Madame la ministre, l’occasion vous est donc offerte de témoigner de cet attachement. J’espère qu’en nous répondant, vous vous prononcerez sur la ratification de la charte, moyennant la légère modification déjà mentionnée, et sur l’adoption d’une nouvelle loi propre à satisfaire les aspirations de nos régions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur de nombreux bancs du groupe SRC).
M. André Schneider – Nous vivons un moment historique…
M. Frédéric Reiss – Tout à fait !
M. André Schneider – Au terme de plusieurs décennies de tergiversations, cet hémicycle accueille pour la première fois un débat sur les langues régionales, auxquelles – j’en suis sûr – tous ici sont profondément attachés. Cela honore le Président de la République, qui, une fois de plus, tient ses promesses de candidat ; cela honore le Gouvernement, Madame la ministre ; cela, enfin, honore notre Assemblée, Monsieur le Président. Je tiens à préciser que je m’exprime au nom de tous les députés alsaciens de la majorité.
La France est riche de ses diversités historiques, culturelles, géographiques, gastronomiques et linguistiques, qui constituent un formidable patchwork, un camaïeu scintillant de richesses – en somme, un patrimoine. Vivant témoignage de l’histoire de France, notre diversité linguistique en constitue l’un des éléments les plus beaux, les plus magiques. Par exemple, le nom de Strasbourg, ville dont je suis député, signifie à peu près « la croisée des routes ». Et – si l’on m’autorise une précision quelque peu chauvine – c’est à Strasbourg qu’a été rédigé, en 842, le premier texte en langue française, le serment de Strasbourg, lors du partage de l’empire de Charlemagne.
M. Paul Giacobbi – Absolument !
M. André Schneider – Oui, mes chers collègues, notre diversité linguistique est l’un des atouts les plus précieux de notre patrimoine ; loin de porter préjudice à l’unité nationale, elle en constitue le ciment. Permettez donc à l’ancien professeur de français et militant convaincu de la francophonie que je suis, de plaider avec force pour la reconnaissance de nos langues régionales, fierté de nos terroirs, composantes essentielles de notre identité régionale et nationale.
Je précise qu’avec mes collègues de la délégation française à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – certains sont présents –, je n’ai pas voté la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ; il s’agit là d’un autre débat, qui ne doit pas être confondu avec la défense de notre patrimoine.
Que seraient l’Alsace sans l’alsacien, la Bretagne sans le breton, la Corse sans le corse ? La France deviendrait terne et triste, notre belle diversité une sombre uniformité, notre patchwork culturel un fast-food sans saveur.
L’amendement adopté lors du vote de la loi Fillon sur l’avenir de l’école, le 23 avril 2005, à l’initiative du rapporteur, notre excellent collègue Frédéric Reiss, pourrait servir de référence à la loi que nous appelons de nos vœux. Il précisait qu’« un enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention spécifique entre l’État et la région ou le département où ces langues sont en usage. Le recteur de l’académie concernée transmettra au Haut conseil de l’éducation un rapport annuel portant sur l’application de la convention et les résultats obtenus ».
L’histoire exige cette reconnaissance ; dans nos régions, nous l’avons compris depuis bien longtemps. Savez-vous qu’en Alsace, les écoliers de ma génération subissaient des punitions, parfois corporelles, lorsqu’ils parlaient alsacien – leur langue maternelle ? Voilà du reste pourquoi bon nombre d’entre nous se sont engagés en politique dans leur jeunesse.
Réveillons-nous ! Il est grand temps qu’après les collectivités locales, la nation tout entière reconnaisse l’irremplaçable apport de nos langues régionales à notre richesse nationale. Donnons à ces langues un nouvel élan, octroyons au ministre de l’Éducation nationale des moyens spécifiques à cette fin, soutenons les associations qui leur consacrent leur compétence depuis de longues années, car, Madame la ministre, chaque euro investi pour les langues régionales constitue un bon placement pour le rayonnement de la France ! En outre, depuis le serment de Strasbourg que je viens d’évoquer, ce camaïeu linguistique témoigne de l’enracinement historique de la France en Europe.
Après cette mise en bouche – si vous me permettez cette expression –, haut les cœurs ! Allons de l’avant ! Préparons ensemble le texte de la loi que nous appelons de nos vœux et dont nous espérons qu’elle sera prochainement discutée. L’histoire nous en sera reconnaissante ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)
M. Victorin Lurel – Je me réjouis des propos de celles et ceux qui m’ont précédé à la tribune et c’est avec émotion que je m’exprime à mon tour, quelques jours après les funérailles nationales du poète Aimé Césaire.
Ce chantre humaniste de la négritude, cet inlassable défenseur de l’identité nègre et martiniquaise, qui aimait lui-même à se définir comme un « homme de synthèse, de liaisons et de terminaisons », cet amoureux de la langue française qui sut conjuguer, dans son œuvre comme dans sa vie, universalité et « diversalité » – comme on dit en Caraïbe – n’eût pas manqué de nous exhorter ici même, avec sa verve incandescente et ses fulgurances essentielles, à ne pas laisser dépérir, voire mourir, des pans entiers de notre patrimoine linguistique national. Et, si j’invoque son ombre tutélaire, c’est que, lors de ce débat sur un élément important de notre identité, il eût assurément tenté de nous convaincre d’abandonner sans crainte l’idéologie linguistique d’écrasement, d’humiliation, d’abâtardissement des langues autres que le français, de cannibalisme langagier, de glottophagie recommencée.
Mes chers collègues, ce débat répond à la demande récurrente de générations de parlementaires qui s’entêtent à croire qu’en relayant l’ambition de défense des langues régionales, ils ne sombrent pas dans l’irrédentisme ni ne rejoignent l’anti-France. Non, en demandant avec obstination, depuis le décret Lakanal du 27 Brumaire an III, depuis le fameux article 11 de la déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, l’officialité, la co-officialité ou la quasi-officialité pour nos idiomes régionaux, nous ne défaisons pas la France, nous ne portons pas atteinte à l’unité ou à l’indivisibilité nationale !
Ainsi, la proposition de loi constitutionnelle cosignée par 203 députés du groupe socialiste et visant à libérer nos autres langues de France de la clandestinité , à les protéger et à leur accorder un statut constitutionnel, constitue la quatre-vingt- cinquième tentative depuis 1958 pour vaincre l’indifférence des gouvernants et des majorités parlementaires, pour surmonter la frayeur quasi métaphysique qui s’empare d’eux dès lors qu’il s’agit de toucher au monolinguisme. Cette fois, j’ai cru comprendre qu’un grand nombre de députés de droite seraient prêts à voter pour la reconnaissance, le respect et la promotion des langues régionales ; une majorité pourrait donc être réunie pour adopter cette réforme.
Madame la ministre, je vous exhorte à l’audace. Exorcisez enfin cette malédiction qui nous a toujours conduits à renoncer de peur d’ouvrir la boîte de Pandore ou de jouer l’apprenti sorcier déchaînant des forces qui échappent ensuite à sa maîtrise !
Aujourd’hui, les juristes le savent, toutes les conditions sont réunies pour donner un statut constitutionnel à nos langues sans porter atteinte à l’égalité des citoyens, à l’unité nationale et à l’indivisibilité de la République. On ne peut plus penser, comme le faisait le président Jacques Chirac, qu’il est parfaitement possible de reconnaître aux langues régionales leur place dans notre patrimoine culturel sans modifier la Constitution. Les lois Deixonne de 1951, Haby de 1975, Jospin de 1989 et Toubon de 1994 ne suffisent plus à garantir leur respect et leur développement. Pire, l’alinéa premier de l’article 2 de la Constitution – « la langue de la République est le français » – élaboré pour résister à la colonisation par l’anglais ne protège pas vraiment notre langue de cette redoutable concurrence, ainsi que le démontrent les décisions du Conseil Constitutionnel MURCEF, du 6 décembre 2001, et Accord de Londres relatif aux brevets européens du 28 septembre 2006. En revanche, cet article est devenu un verrou très efficace contre les langues régionales. À l’instar de ce qui est advenu de l’ordonnance de Villers-Cotterê ts de 1539, destinée à l’origine à s’opposer à l’emploi du latin dans les domaines juridique et commercial, il se retourne contre les langues régionales et devient un formidable instrument de discrimination envers les langues de France autres que le français.
En vérité, tant que les langues régionales ne seront reconnues qu’au rang législatif et qu’elles n’auront pas droit de cité dans la Constitution, elles garderont leur indignité. Pourtant, la République a connu, sans drame, deux régimes de plurilinguisme, en Polynésie (de 1980 à 1995) et en Calédonie, où les vingt-huit langues canaques jouissent d’une protection constitutionnelle sans inconvénient pour l’unité de la République.
M. le Président – Monsieur Lurel, il faut conclure.
M. Victorin Lurel – J’aimerais vous donner une raison supplémentaire de mieux promouvoir nos langues et de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires : cette revendication doit être admise sur la base des droits fondamentaux, le droit à la langue reconnu à chacun comme élément d’identité. C’est une autre version de l’individualisme possessif. Ce droit n’est pas reconnu à des minorités mais bien à des locuteurs. La France ne saurait continuer à traiter ses langues régionales de façon pire que la Turquie et refuser à ses citoyens d’utiliser, en public et en privé, la langue de leur terroir ou de leur choix. Enfin, il ne vous aura pas échappé que la France joue sa crédibilité internationale : elle ne peut décemment exiger à l’OMC et à l’UNESCO la reconnaissance de la diversité et la refuser chez elle.
Réhabiliter le plurilinguisme national ne revient en rien à un quelconque babélisme : c’est tout au contraire faire acte de tolérance et de progressisme. Nous attendons donc la modification de l’article 2 de la Constitution, ainsi qu’une loi pour la promotion des langues et cultures régionales de France. De l’audace, encore de l’audace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC)
M. Daniel Mach – En cette année 2008, déclarée « année internationale des langues » par l’UNESCO, je souhaite vivement saluer l’initiative de ce débat. L’engagement pris envers les langues régionales a été tenu. Ce débat révèle l’intérêt que le Gouvernement accorde à la préservation de notre diversité linguistique et culturelle et je lui en suis extrêmement reconnaissant. Cette discussion, depuis longtemps sollicitée par les députés et par les associations qui œuvrent chaque jour en ce domaine, revêt un aspect absolument primordial pour certains départements, mais aussi pour le pays. La diversité, linguistique comme culturelle, est une grande richesse pour les individus et les sociétés. Sa préservation est un enjeu majeur pour l’humanité. La volonté de nos concitoyens d’être reconnus dans leur identité propre est indéniable. Il est donc crucial de permettre à nos langues de vivre et d’être pratiquées.
Cependant, des menaces existent, sournoises. À titre d’exemple, le remplacement de la télévision analogique par le système numérique risque de condamner la réception, dans les Pyrénées-Orientales, de TV3 et Canal 33, compromettant ainsi la promotion et l’usage du catalan. C’est de la survie de nos langues régionales que nous parlons ici. Aujourd’hui, porter les couleurs de sa région ne revient pas à se désolidariser de la nation mais au contraire à intégrer l’histoire locale dans le patrimoine national. Le sentiment d’appartenance régionale ne revendique pas une séparation, un refus de l’identité nationale, mais tout simplement le droit d’exister avec fierté et à revendiquer les couleurs de sa culture.
M. François Calvet – Tout à fait !
M. Daniel Mach – Dans de nombreuses régions, les langues locales ont souvent été interdites, ce qui a causé la perte de pans entiers de cultures riches en traditions et en histoire. Pour leurs habitants, perdre un peu de leur identité revient à perdre un peu de leur histoire. Il n’est nullement question de remettre en cause la suprématie du français, langue officielle de la République, mais il est urgent de trouver des solutions pérennes qui permettent à nos langues régionales d’être pratiquées, de se transmettre et de se développer.
La langue catalane présente une immense particularité et si la constitution d’un groupe d’études sur les langues régionales à l’Assemblée est une étape importante pour enfin considérer nos langues à leur juste valeur, je suis sincèrement scandalisé que l’on m’oblige à parler du catalan comme d’une langue régionale : il est parlé par près de 10 millions de personnes dans le monde !
M. Marc Le Fur – Très bien !
M. Daniel Mach – On ne peut pas continuer à gérer notre pays dans cet esprit parisianiste. Paris est parfois bien loin de la France ! Le catalan ne mérite ni indifférence, ni dédain. On ne peut pas considérer comme un patois la langue officielle de l’Andorre et de la Catalogne du sud. Le catalan est le socle de négociations internationales et européennes dans les domaines commercial, culturel ou économique. Dans les Pyrénées orientales, l’enseignement du catalan est un atout inestimable pour l’avenir professionnel de nos enfants, car il offre la possibilité d’intégrer le marché du travail extrêmement dynamique de la Catalogne du sud. Nos enfants peuvent avoir intérêt à envisager une carrière dans le nord de l’Espagne plutôt qu’au nord de l’Europe ! C’est là que les méthodes d’apprentissage en milieu scolarisé prennent toute leur envergure. Les enseignements bilingues à parité horaire ou en immersion sont les seuls moyens de s’imprégner totalement d’une langue. Il est temps de proposer aux parents une totale liberté de choix en ce domaine, car il s’agit de l’avenir de leurs enfants.
Depuis plus de trente ans, les organismes internationaux n’ont cessé de rappeler l’importance des langues dans le patrimoine de l’humanité et d’inciter les États à prendre des mesures pour assurer leur défense et leur développement. Le Président de la République a officiellement déclaré qu’un texte de loi reconnaissant l’importance des langues régionales et le rôle de l’Éducation nationale à cet égard permettrait d’assurer la protection juridique de ce patrimoine inestimable. De nombreux États ont déjà des législations reconnaissant cette diversité comme un atout remarquable pour leur développement économique, social et culturel. Si j’adhère totalement à ce débat au Parlement, auquel je participe avec satisfaction et fierté, je tiens à vous faire part de l’état d’esprit de mes concitoyens : les humiliations historiques ont été lourdes pour les Catalans. Le traité des Pyrénées, signé en 1659, a engendré des incompréhensions.
M. le Président – Il faut conclure, Monsieur Mach.
M. Daniel Mach – Les Catalans rejetés d’un côté de la frontière et intégrés de force ont connu les pires sentiments : trahison, incompréhension, rejet des deux côtés. Aujourd’hui encore, l’humiliation demeure à chaque tentative de l’État d’affaiblir leur patrimoine culturel et linguistique. L’État français devra tôt ou tard s’expliquer et prendre des mesures concrètes en faveur des langues régionales. Admettez, Monsieur le ministre, qu’il n’est pas normal que d’un département à l’autre, la défense des langues régionales n’ait pas les mêmes soutiens financiers ! Ne passons pas à côté de cette opportunité quasi historique de donner aux langues régionales toute leur place dans notre société.
Madame la ministre, Senyora, els Catalans… (l’orateur continue en catalan).
M. le Président – Monsieur Mach, on ne peut s’exprimer qu’en langue française dans cet hémicycle.
M. Daniel Mach – C’est vrai. Je vais donc traduire : les Catalans sont fiers, honnêtes et paisibles. Leur langue est un droit et ils savent où sont leurs devoirs (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP et sur certains bancs du groupe SRC).
M. François de Rugy – On peut être surpris par l’organisation assez soudaine de ce débat. Quelles que soient ses motivations profondes, je m’en réjouis. Néanmoins, ce débat n’aura servi à rien s’il ne débouche pas sur une réforme constitutionnelle. Sans cela, ce ne sera qu’une discussion de plus qui maintiendra les langues régionales au niveau du folklore.
Lors de la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du traité modifié de Lisbonne, plusieurs amendements avaient été déclarés hors sujet. Ils ne l’étaient pas, puisque la France n’a toujours pas ratifié la charte européenne des langues régionales. La question est d’ailleurs étroitement imbriquée avec celle de la construction européenne. Le prochain débat sur la réforme institutionnelle pourrait fournir l’occasion de faire avancer les choses, mais le projet soumis par le Gouvernement ne contient aucune proposition pour la reconnaissance des langues régionales. J’espère que le Parlement saura y remédier. En tout cas, notre débat devrait permettre d’envisager un consensus qui dépasse les groupes et les notions de gauche et de droite. J’espère d’ailleurs que les opposants à la reconnaissance des langues régionales, qui se trouvent sur tous les bancs, s’exprimeront aussi, car le débat sera plus sain si toutes les sensibilités sont représentées.
Et puisqu’il est question de réforme de nos institutions, tous les défenseurs des langues régionales et minoritaires pointent du doigt l’article 2 de notre Constitution, dont le premier alinéa énonce que la langue de la République est le français. L’éminent constitutionnaliste Guy Carcassonne qualifie cet alinéa d’incongru et estime qu’il n’apporte rien, si ce n’est qu’il alimente une demande reconventionnelle pour donner une existence de même type aux langues régionales. Car sans cet alinéa, il n’y aurait pas de problème ! Il ajoute que le constituant aurait pu aller jusqu’au bout de sa logique singulière, en inscrivant dans la Constitution que le territoire, l’histoire, la culture et la tradition de la République sont le territoire français, l’histoire de la France, la culture française et la tradition française – sans même parler d’une référence à la gastronomie française !
Quoi qu’il en soit, cette disposition est vécue non seulement comme un handicap, mais aussi comme un obstacle à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Guy Carcassonne indiquait que cet alinéa « n’était pas vraiment nocif jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel l’invoque de manière excessivement rigide pour faire échec à la ratification de la Charte européenne, pourtant pas bien méchante. »
Cette phrase lapidaire, « la langue de la République est le français », n’est pas si anodine. À cause d’elle, la France a été obligée de refuser sa signature à certains éléments de conventions internationales qui prévoyaient la valorisation de la diversité linguistique, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 27 stipule que « les minorités linguistiques ne peuvent être privées du droit d’employer leur propre langue », ou encore la Convention relative aux droits de l’enfant, qui prévoit, quant à elle, qu’« un enfant appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d’employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe ». Ces éléments ont été déclarés contraires à l’article 2 de la Constitution.
Une certaine conception de la République, étatiste et nationaliste, détourne le modèle républicain. Contrairement à ce que l’on dit parfois, la Révolution française ne s’est pas lancée, dès 1789, dans une politique d’éradication des langues régionales. Entre 1789 et 1792, la France a au contraire mené une politique de soutien et de promotion de ces langues, et ce n’est qu’ensuite que des décisions néfastes ont été prises.
Une certaine tradition républicaine voudrait que le citoyen français soit détaché de toute considération d’origine, de langue, de religion, défait de toutes ces caractéristiques contingentes pour être un bon élève, un bon électeur, un bon citoyen. On ne peut qu’approuver la nécessité de l’autonomie vis-à-vis de toute forme de dépendance. Mais c’est aussi fermer les yeux sur la réalité bien vivante des langues régionales. Dans toutes nos régions, métropolitaines ou ultramarines, il existe des dialectes, des langues régionales qui méritent d’être préservés et dont beaucoup aujourd’hui sont menacées d’extinction. Parler breton, par exemple, se perd de plus en plus.
De quoi avons-nous peur ? De quoi ont peur ceux qui défendent cette vision rigide, fermée de la Constitution ? Pourquoi ne défendons-nous pas ces langues régionales ? La France s’enorgueillit, parfois d’une façon quelque peu arrogante, d’être la patrie des droits de l’homme. Or selon la Déclaration universelle des droits de l’homme, « chacun peut se prévaloir de tous les droits et toutes les libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion ». Pourquoi les personnes ne parlant pas uniquement le français ne bénéficieraient- elles pas d’un égal accès à leur langue, d’un égal droit à l’apprendre, à la pratiquer, à la voir utilisée dans l’espace public ?
La France est attachée à son patrimoine culturel, gastronomique, géographique, à la diversité de ses paysages ; pourquoi néglige-t-elle son patrimoine linguistique ? Dans sa convention sur le patrimoine culturel universel, l’UNESCO définit la langue comme « le vecteur du patrimoine culturel immatériel ». C’est dire son importance !
La diversité linguistique fait partie du patrimoine de l’humanité, elle est une diversité culturelle, et il convient de lutter contre toute tentative d’uniformisation. La France lutte contre l’hégémonie de la langue anglaise au niveau mondial et le Gouvernement vient de nommer un nouveau secrétaire d’État à la francophonie : pourquoi n’agit-elle pas de même au niveau national ? Il est absurde que la France refuse de faire vivre en son sein ce qu’elle appelle de ses vœux dans le monde.
Je le dis d’autant plus fortement que je trouve tout aussi absurdes ceux qui, dans les régions, développent une façon de micro-nationalisme, tout aussi agressif que le nationalisme français, exclusif et débouchant sur le racisme ou la guerre. Nous n’avons aucun problème avec l’identité française. Nous nous sentons autant Français que Bretons, Européens ou citoyens du monde. Je suis moi-même Breton par mon père et Lorrain par ma mère ; ce sont deux régions avec une identité forte, dotées chacune d’une langue régionale, et qui se sentent pourtant pleinement françaises. Les Lorrains se sont battus et ont souffert dans leur chair pour être pleinement intégrés à la France, alors qu’ils parlent, au moins en Moselle, un dialecte proche de l’allemand. C’est dire si le sentiment d’appartenance à la France n’est absolument pas menacé par les langues régionales.
Bien au contraire, le sentiment d’appartenance multiple est le meilleur antidote au racisme et à la peur de l’ouverture sur le monde. Alors que la mondialisation fait peur, souvent à juste titre car elle laisse craindre une uniformisation, une disparition de la diversité culturelle et linguistique, un terrible appauvrissement, qui ne pourrait susciter en retour qu’une crispation nationaliste, ma conviction est que l’on est d’autant plus disposé à s’ouvrir sur le monde que l’on est au clair sur ce que l’on est et d’où l’on vient. Les langues régionales y contribuent.
Il faut aujourd’hui faire preuve de volontarisme, car nous revenons de loin. Durant des décennies a été menée en France une politique d’éradication des langues régionales. En Bretagne, on pouvait lire dans les cours des écoles, à une certaine époque : « Il est interdit de cracher par terre et de parler breton. » Cette politique a conduit à la quasi-disparition d’un certain nombre de parlers régionaux.
En même temps, des exceptions ont été concédées. La Corse fait bien partie de la République française, et pourtant la langue corse bénéficie d’un traitement spécial. La loi du 22 janvier 2002 nous apprend que « la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et primaires ».
Mme Marylise Lebranchu et M. Alain Rousset – Très bien !
M. François de Rugy – L’Assemblée de Corse adopte un plan de développement de l’enseignement de la langue corse et conclut avec l’État une convention pour sa mise en œuvre, incluant la formation initiale et continue des enseignants. Et le résultat est probant : 46 écoles offrent un enseignement bilingue à près de 3 000 élèves, soit 13 % des enfants corses ; 92,64 % des élèves du primaire étudient la langue corse, dont 27,7 % à raison de trois heures hebdomadaires ou plus ; 68,87 % des élèves de sixième sont inscrits en langue corse. Malheureusement, le sort des autres langues régionales n’est en rien comparable.
Il est temps que la France assume ses racines, sa culture, sa richesse linguistique. Nous prenons rendez-vous pour les débats à venir. Kenavo ! (Applaudissements sur divers bancs)
Mme Marylise Lebranchu – Ar wech all !
M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois – Je suis venu apporter mon soutien à l’ensemble de nos collègues qui pensent que les langues régionales sont un atout pour notre pays et doivent être préservées, transmises et valorisées. Je remercie le Gouvernement d’avoir organisé ce débat, qui va nous faire sortir de l’impasse dans laquelle on voulait nous enserrer depuis un certain nombre d’années et qui consiste à dire que la seule solution pour sauvegarder les langues régionales serait de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest en 1989. C’est une profonde erreur, car la ratification, comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel le 15 juin 1999, poserait de nombreux problèmes pour notre pays.
La Charte obligerait la France à encourager, dans sa législation, « l’usage oral ou écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique », ce qui est contraire à l’article 2 de notre Constitution, qui prévoit que « la langue de la République est le français ».
En second lieu, la Charte remet en cause trois principes constitutionnels : l’indivisibilité de la République, l’égalité des citoyens devant la loi et l’unicité du peuple français, puisqu’elle confère des « droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées », alors que ces trois principes interdisent la reconnaissance de « droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ». C’est ce que le juge constitutionnel a rappelé.
Parmi les 39 mesures qui avaient été sélectionnées par notre pays pour ratifier cet outil, un certain nombre poserait une multitude de problèmes : la France serait tenue de traduire dans l’ensemble des langues régionales les lois les plus importantes, de développer la traduction, le doublage et le sous-titrage en langue locale d’« œuvres produites dans d’autres langues », de traduire les « informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs ». Ceci est une fausse voie ; la ratification de la Charte ne me semble pas constitutionnelleme nt possible.
La politique de l’État en direction des langues régionales doit passer à une nouvelle étape : il s’agit de prendre des mesures à droit constant pour entretenir et valoriser ce patrimoine, des mesures culturelles assorties de moyens. Car ces langues sont incontestablement une partie de notre patrimoine, de nos origines, de nos valeurs. Je me tourne donc vers le Gouvernement : il faut, Madame la ministre, que vous affirmiez cette volonté, en sortant des faux-fuyants du débat juridique, pour mener des actions concrètes. Nombreux sont ceux dans la majorité qui souhaitent que le Gouvernement soit extrêmement actif en ce domaine. La majorité est extrêmement attachée à la sauvegarde des traditions et de la culture de notre pays, dont les langues régionales de France font partie. Puisse le Gouvernement se montrer actif et innovant dans ce domaine. Je lui apporte tout mon soutien sur cette voie (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
M. Robert Lecou – Je veux remercier le Gouvernement qui a tenu son engagement d’organiser un débat sur les langues régionales en ce lieu si symbolique de la nation française. Ce débat est une façon de reconnaître, une fois encore, que la diversité est source de richesse.
De Villers-Cotterê ts, de 1792, de la guerre de 1914-1918 à aujourd’hui, la France a forgé son unité. Elle doit aujourd’hui continuer à affirmer son identité. La langue française doit rester la langue de la diplomatie et des Jeux olympiques ; la France des Lumières doit demeurer une référence en matière de droits de l’homme ; la francophonie doit vivre et amplifier encore le rayonnement de la France.
C’est dans cet esprit que nous avons créé, au début de la XIIe législature, un groupe de travail sur la diversité culturelle en Europe, qui a œuvré en partenariat avec son homologue allemand. Nous sommes unis par le refus de la domination sans partage d’une seule culture, d’un seul mode de vie et d’une seule langue. Il faut construire l’Europe sans nier nos identités respectives. C’est cela, l’Europe de la diversité dont un monde ouvert a besoin.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer dans cet hémicycle, je dis « oui » à l’Europe de la diversité culturelle, et « oui » à l’occitan, c’est-à-dire « oui » à la richesse culturelle de la France. Les langues régionales, qui ont fondé notre langue française, participent à la diversité de notre pays et donc à sa richesse.
Nous pouvons sans inquiétude faire preuve d’audace, car l’unité de notre pays n’est pas en cause. Faisons preuve de confiance en redonnant à nos langues toute leur place. Avec nos cultures régionales, elles font partie du patrimoine de l’humanité. Donnons-leur les moyens de vivre en défaisant les blocages juridiques actuels. Comme l’a préconisé le président de la commission des affaires culturelles, il faut que l’article 2 de la Constitution fasse mention du respect des langues régionales ; il faut également ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, tout en légiférant en matière d’enseignement, de médias et de création culturelle. Nous soutiendrons ainsi nos belles langues régionales, qui forment nos racines et dont la connaissance favorise l’apprentissage des langues étrangères, voire les mathématiques. Chacun connaît l’essor des calendrettes, des radios associatives, ou encore du théâtre de la Rampe.
Puissions-nous placer nos pas dans ceux du général de Gaulle, qui reconnaissait lui-même que la construction de l’unité française était achevée et qu’il fallait désormais laisser s’exprimer les énergies locales. Comme l’a également demandé Nicolas Sarkozy, nous devons réfléchir à des mesures concrètes tendant à sécuriser définitivement la place des langues régionales de France. Elles sont notre patrimoine et notre richesse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Marylise Lebranchu – J’espère que vous allez reprendre la parole, Madame la ministre, car nous attendons toujours des mesures précises, un amendement à la Constitution, et une loi…
Le président Warsmann estime qu’il n’est pas nécessaire de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ni de modifier la Constitution. Or, je rappelle que la loi permettant l’enseignement en langue régionale, notamment dans les écoles Diwan, avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Il serait frustrant et humiliant que toute loi nouvelle sur les langues régionales reste condamnée d’avance. Il faut y prendre garde, car l’humiliation conduit à la violence.
Procédons plutôt par ordre : nous avons besoin d’une révision de la Constitution, puis de textes législatifs précis. Sans cela, l’expérimentation aujourd’hui proposée par le président du conseil régional de Bretagne, par exemple, risque fort d’être inconstitutionnelle .
Cette révision de la Constitution, nous la demandons depuis longtemps. Il est vrai que la rédaction actuelle de l’article 2 a été adoptée par une majorité de gauche. Mais il s’agissait de protéger le français contre la montée en puissance de la langue anglaise, notamment en matière de propriété intellectuelle. L’usage de l’anglais étant un facteur de prédominance du droit anglo-saxon, nous avions souhaité rappeler que le français est la langue de la République.
La ministre a indiqué à juste titre qu’il s’agit d’une langue « commune », et non d’une langue unique. C’est une question de culture, de patrimoine et d’identité. La République n’est pas en danger quand on parle, ici ou là, une autre langue que le français, quand les Catalans français parlent avec des Catalans espagnols, ou quand des enfants sont immergés dans un univers bilingue. Lorsque des enfants apprennent deux langues dès le plus jeune âge, ils peuvent en apprendre bien plus facilement d’autres : ils sont ainsi des citoyens de France, mais aussi d’Europe et du monde.
Il serait bien archaïque d’en rester à notre conception actuelle d’une République une et indivisible, et il serait tout aussi archaïque d’interdire à nos concitoyens de s’exprimer dans une langue régionale. Pensons à Aimé Césaire ! Toute personne qui a reçu en héritage une langue a le devoir de ne pas y renoncer. De la même façon, un pays qui a la chance d’avoir autant de langues sur son territoire que le nôtre, tout en jouissant d’une véritable unité, a le devoir de réviser sa Constitution afin que ses lois puissent donner aux langues régionales les moyens de vivre. Ces langues sont un merveilleux patrimoine. Ce sont les mots qui font les personnes et les échanges (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et quelques bancs du groupe UMP).
M. Camille de Rocca Serra – Je remercie le Premier ministre d’avoir tenu son engagement et me réjouis de l’organisation de ce débat en préalable à la révision constitutionnelle qui doit bientôt venir en discussion.
Depuis la Révolution, le sujet dont nous débattons a suscité des discussions passionnées et trop souvent crispées. Le temps est venu de réfléchir à l’avenir de nos parlers régionaux. Comme le général de Gaulle l’indiquait déjà à Lyon, voilà quarante ans, dans un discours fameux sur la réforme régionale, nous n’avons plus besoin de l’effort de centralisation qui fut longtemps nécessaire à la France pour maintenir son unité.
La République peut aujourd’hui reconnaître sa diversité, car la nation est assez forte pour s’épanouir sur le terreau qu’est la richesse culturelle de ses différents territoires. La langue française est chez elle en Corse, en Alsace, en Occitanie, en Bretagne, et elle ne fait que se renforcer au contact des langues régionales.
Il est temps de réfléchir, sans crispation ni tabou, à une identité française sereine. Entre un jacobinisme borné et une tendance à la folklorisation, entre un républicanisme intégriste et une approche ethnique exacerbée, une voie médiane est possible : la reconnaissance des langues de France comme notre patrimoine commun.
Nos langues régionales sont en effet les ferments de la cohésion sociale et des liens resserrant l’harmonie territoriale. C’est une évidence. À l’occasion de son dernier déplacement en Corse, le Président de la République observait d’ailleurs que renier l’identité d’une région revenait à nier une part de l’identité de la nation. Se déclarant prêt à aller plus loin pour que la langue corse reste vivante, le président a accepté le principe d’une discussion sans tabou sur ce sujet, avec pour seule limite que le français demeure la langue de la République.
Je fais mienne cette limite. Parler corse, ou une autre langue régionale, est une façon de se positionner dans l’ensemble national et de faire fusionner son altérité régionale. C’est pourquoi j’avais signé l’amendement, déposé en 2004 par Marc Le Fur, tendant à reconnaître que « le français est la langue de la République dans le respect des langues régionales qui fondent sa diversité ».
Parler corse, c’est s’ouvrir à la construction européenne en tendant une main fraternelle à l’Italie. Parler alsacien, basque ou catalan, c’est également un gage d’amitié envers nos voisins allemands et espagnols. Dans ce lieu chargé d’histoire et de symboles, je veux vous dire tout haut ce que trop de Corses éprouvent sans arriver à le faire comprendre : si mon âme est corse, mon cœur est français. Pourquoi perdrais-je mon identité pour être français ?
Oui, l’alchimie entre identité et altérité permet de s’identifier pleinement à la nation, pourvu que celle-ci ne nie pas la diversité. Il nous appartient de combiner nos richesses linguistiques et culturelles grâce au dialogue et aux échanges. Souvenons-nous de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « l’universalisme doit reposer sur une conception de la diversité linguistique et culturelle qui dépasse à la fois les tendances homogénéisantes et les tendances à l’isolement facteur d’exclusion ». Nous devons trouver la meilleure formule possible afin de faire fructifier notre patrimoine linguistique national sans contrevenir au dogme républicain.
Adoptée en 1992, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires a suscité un débat. Bien que conçue comme un instrument de défense, elle nécessite une mise en adéquation avec notre ordre juridique national. Nous devons traduire en droit interne les différentes réserves et déclarations formulées par la France en 1999. Nous avons tous ici le devoir de garantir l’avenir de notre patrimoine linguistique par un texte pertinent et efficace. Je décèle en cette enceinte une volonté forte qui s’ajoute aux engagements déjà pris par le Président de la République et le Premier ministre. Ensemble, trouvons la meilleure solution. Si l’obstacle est d’ordre constitutionnel, peut-on modifier la Constitution sans en dénaturer l’esprit ? Sinon, une simple loi pourra-t-elle garantir l’indispensable sécurité juridique à accorder aux langues de France ? Peut-être pourra-t-on par ailleurs profiter de la présidence française de l’Union européenne pour amender la Charte des langues régionales par le biais de protocoles additionnels.
Quant à moi, je le dis ici solennellement : la langue corse ne mourra pas ! Elle vivra grâce à ceux qui la transmettent et qui la parlent, mais aussi grâce à ceux qui l’aiment sans la parler. Elle vivra comme vivront le breton, l’alsacien, le basque, le catalan, l’occitan ou les créoles. Elle vivra, car la laisser mourir serait accepter la mort du français lui-même. Il est encore temps d’agir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe SRC)
M. Armand Jung – Depuis la Seconde guerre mondiale, une longue série de documents visant à reconnaître les langues régionales a été soumise à l’attention de l’Assemblée nationale. De propositions de loi en décrets et circulaires, des gouvernements de tous bords et pas moins de trois Présidents de la République, dont l’actuel, ont pris des engagements précis en faveur des langues régionales. À ce jour, pourtant, aucune de ces démarches n’a abouti. L’unité de la République serait-elle donc menacée, ou ne s’agit-il que d’un vieux centralisme jacobin ? Comment interpréter autrement la récente décision du ministère de l’intérieur de supprimer sans autre forme de procès la traduction des professions de foi en allemand en Alsace-Moselle ? Aucune raison, pas même financière, ne justifiait pourtant cette mesure blessante et inutile.
Outre qu’elles constituent un atout économique d’importance, les langues régionales, parlées par plusieurs millions de Français, sont à la fois populaires et littéraires. Jean Jaurès s’adressait souvent à la foule en occitan. En Alsace, la Révolution française s’est faite au cri de Freiheit, Gleichheit, Brüderliebe, et la Marseillaise était chantée en allemand, norme des dialectes alsacien et mosellan. C’est en alsacien que furent menées les grèves de 1920, de 1936 et de 1968 et, aujourd’hui, c’est en alsacien que les supporters soutiennent leur équipe de football, le Racing Club de Strasbourg ! Le premier poème rimé en allemand vient d’Alsace, de même que la première Bible allemande imprimée. Le premier roman populaire et le premier journal en langue allemande ont été publiés en Alsace. Ces œuvres, au même titre que celles d’Aimé Césaire, enrichissent le patrimoine culturel français. Entre leur langue régionale et la langue nationale, les Alsaciens et les Mosellans peuvent s’entretenir et travailler avec cent millions de francophones et autant de germanophones. L’économie régionale s’inscrit dans le bassin rhénan, et l’alsacien représente un puissant atout économique. Songez que 12 % des actifs alsaciens travaillent en Suisse alémanique ou en Allemagne !
L’alsacien, parlé par 650 000 personnes, est l’une des langues régionales les plus répandues et les mieux transmises avec le corse – le taux de transmission familiale résiduelle est de 10 % de locuteurs d’une génération à l’autre. Hélas, à ce rythme, qu’adviendra- t-il des 10 000 derniers locuteurs en 2050, sachant qu’il faut 100 000 locuteurs environ pour garantir la survie d’une langue ?
Le cas de l’Eurodistrict de Strasbourg, Kehl et Ortenau, créé par MM. Chirac et Schröder, est symptomatique. Comment tolérer que les débats s’y déroulent avec l’aide de traducteurs ? Il y a trente ans à peine, l’Alsace fournissait l’essentiel du personnel germanophone de France dans l’enseignement, la diplomatie, l’armée ou les entreprises. Aujourd’hui, elle ne compte plus assez de germanophones pour satisfaire ses propres besoins !
À la veille d’une révision substantielle de la Constitution, il est impossible de ne pas envisager d’en modifier l’article 2, afin d’y faire référence aux langues régionales qui font partie intégrante de notre patrimoine commun. Voilà qui ouvrirait du même coup la voie à la ratification de la Charte européenne des langues régionales, signée par le gouvernement de M. Jospin.
Il n’y a pas de langue supérieure. La richesse de notre histoire commune réside précisément dans notre diversité. Reconnaître les langues et les cultures régionales, c’est accepter la place de l’autre. Ne pas le faire, c’est prendre le risque de réduire cette diversité à une situation unilingue et uniforme.
Si je me félicite de la tenue de ce débat, je mets néanmoins en garde le Gouvernement contre la tentation de faire miroiter de faux espoirs à nos concitoyens, sous peine de provoquer la déception, voire la révolte de celles et ceux qui attendent depuis si longtemps la reconnaissance par la République de leur spécificité linguistique.
J’ajoute, Monsieur le Président, qu’un premier pas vers cette reconnaissance consisterait à s’efforcer de prononcer correctement les noms des députés que vous appelez à la tribune (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. le Président – Je vous prie de m’excuser si j’ai mal prononcé votre nom, Monsieur Jung.
M. Yves Censi – La langue, dont nous débattons aujourd’hui, est un sujet fondamental. Je préfèrerai l’appellation de langues patrimoniales à celle de langues régionales – notion trop réductrice à mes yeux. Les langues, véhicules de notre pensée, de notre culture et de notre identité, sont la responsabilité de chacun. Il ne s’agit pas ici de particularismes, de minorités et de comportements marginaux, mais bel et bien de l’identité nationale. Notre richesse linguistique renforce l’identité française, ici comme ailleurs dans le monde.
Je tiens à remercier le Premier ministre, ainsi que notre assemblée et particulièrement M. Le Fur, d’avoir permis ce débat. C’est un débat historique, non seulement parce qu’il est sans précédent, mais aussi parce qu’il touche aux valeurs centrales de notre démocratie : l’identité des citoyens de la République, dans la splendeur de leur diversité, qui fonde la nation.
Les langues de France ont largement alimenté le français, seule langue officielle de la République, qui n’existerait pas sans elles. Sans elles en effet, notre culture ne serait qu’un mythe. Paris, au lieu d’être un formidable lieu de rassemblement des cultures, ne serait qu’une localité hégémonique. Notre débat doit nous permettre de sortir du déni de ce que nous sommes. La diversité de nos accents et de notre vocabulaire révèle bien plus qu’une origine géographique. Qu’est-ce au fond que l’accent « du Sud » ? N’y a-t-il pas plutôt des accents basques, provençal, occitan ou catalan ? Chacun de ces accents est donc la marque d’une langue.
Je me battrai pour cette indispensable reconnaissance de notre diversité. Chacun peut constater la volonté grandissante de nos concitoyens d’apprendre, de pratiquer, d’écrire et même de chanter nos langues vernaculaires. Le phénomène n’est pas local, mais national.
Il va de soi qu’il ne justifie aucune tentation régionaliste. Certains, très minoritaires, utilisent la défense des langues patrimoniales pour nourrir leurs revendications régionalistes, voire séparatistes. Un tel amalgame ne peut que nuire aux aspirations de ceux qui souhaitent tout simplement vivre avec leurs langues. Qu’ils relisent le manifeste occitan et antirégionaliste de Félix Castan, que j’aime à citer ! L’occitan, parlons-en : de quelle langue régionale s’agit-il, cette lango nostro que l’on parle dans huit régions françaises ? De même, il existe des intégristes qui refusent toute reconnaissance aux langues de France – et, partant, se dressent contre la France elle-même. Voici des décennies qu’ils manipulent les failles de notre législation pour imposer leurs erreurs. Les uns et les autres se renvoient sophismes et doctrines sectaires. Dépassons enfin ce faux clivage !
Précisément : ce débat doit permettre d’éclairer, mais aussi d’agir. La loi doit définir l’appellation de langue patrimoniale de France, en précisant notamment quelles langues y ont droit. Il faut modifier la loi Toubon en y ajoutant une référence à ces langues de France. Voilà qui éliminerait un frein à leur développement. Enfin, j’attire l’attention du Gouvernement sur les méthodes d’enseignement en immersion. Cette expérience mérite d’être évaluée : chacun pourrait ainsi constater, j’en suis sûr, que les enfants qui en ont bénéficié ont un meilleur niveau de français que les autres.
Vivent les langues patrimoniales de France, vive le français, et vive la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC)
M. Alain Rousset – Sans revenir sur ce qui a déjà été dit, je tiens à préciser que si la Gouvernement ne parvient pas à surmonter l’obstacle constitutionnel, nous n’aurons tenu aujourd’hui que de simples discours sans effet. Pourtant, nous pouvons d’ores et déjà avancer, avec les collectivités territoriales notamment. Ainsi, en Aquitaine, la convention spécifique du Pays basque offre à l’ensemble des collectivités locales des outils d’expérimentation bien utiles. De telles conventions doivent être signées ailleurs en France. Par ailleurs, je regrette que votre collègue de l’Éducation nationale ne soit pas présent, Madame la ministre, car il devrait réfléchir avec les collectivités au meilleur moyen d’informer les élèves et leur famille que l’enseignement des langues régionales est possible. Sinon, nous allons simplement assister à un foisonnement d’initiatives familiales, conformément à ce que nous connaissons déjà. L’enseignement public doit être capable de reprendre l’initiative : information, moyens éducatifs… Nous ne les avons pas totalement aujourd’hui et je pense à un exemple à Périgueux où, au moment de passer le bac, certains élèves ont découvert qu’il y avait un professeur capable d’enseigner l’occitan.
La réflexion doit s’étendre à un autre domaine dont vous avez aussi la charge, Madame la ministre, celui des médias. Avec les régions – qui y sont prêtes – France 3 a un défi à relever pour ce qui concerne la diffusion des langues car nous sommes, disons-le, mauvais en la matière, voire très mauvais…
M. Marc Le Fur – C’est hélas vrai.
M. Alain Rousset – Les régions Languedoc Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine ont lancé un certain nombre d’expériences mais cela reste extrêmement difficile, sauf à se borner à rediffuser quelques émissions.
Deux suggestions pour conclure. D’abord, les régions sont prêtes, avec d’autres collectivités, à créer un conseil national et régional des langues régionales, en vue de disposer d’un lieu partenarial pour débattre de ces questions. Le défi à relever n’est plus celui de l’identité nationale mais celui de l’achèvement de la décentralisation. Le blocage jacobin est, dans notre pays, un fait culturel lié à des peurs. Il en est de même pour ce qui concerne les langues régionales.
M. Jean Lassalle – C’est vrai.
Mme Marylise Lebranchu – C’est très juste.
M. Alain Rousset – La deuxième bataille à mener, c’est celle de la Francophonie. J’ai participé aux cérémonies du 400e anniversaire de la découverte du Québec et j’ai appris à cette occasion qu’il y avait dans le monde 178 à 200 millions de locuteurs français et que le défi de la francophonie se situe aujourd’hui en Afrique. Dans cette perspective, nous pouvons être 600 à 800 millions de locuteurs. C’est le défi du codéveloppement, dont doit se saisir l’ensemble du Gouvernement.
En France, nous sommes confrontés au défi majeur de l’illettrisme. Je suis persuadé que si nous mettons tous nos efforts en commun, État et collectivités, notre pays peut, sur ce front aussi, beaucoup progresser (Applaudissements sur tous les bancs).
M. le Président – La parole est à M. Jean Lassalle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean Lassalle – Lorsque je suis entré à l’école primaire, à l’âge de six ans, je ne connaissais pas un mot de français puisque j’avais appris le béarnais. J’ai fait ce que j’ai pu et je suis très fier d’avoir appris tant bien que mal le français. Comment oublier les milliers de jeunes gens qui, il y a un peu moins d’un siècle, partirent de la gare de Bayonne ou de celle de Pau pour devenir les héros anonymes du Chemin des Dames ? La plupart parlait mieux le basque ou le béarnais que le français et cela ne les a pas empêchés de tout donner !
L’ouverture de ce débat est un moment historique. Ne décevons pas les espoirs qu’il fait naître partout dans le pays. C’est une émotion bien particulière que celle que suscite l’action de parler une langue qui a toujours été celle de vos pères. On peut la comparer à celle qui naît de la contemplation d’un paysage familier ou de la dégustation d’un fromage aimé. Ce petit frisson sur l’échine, on le ressent aussi en entendant monter des tribunes des stades des chants d’encouragement prononcés dans toutes les langues qui font notre diversité. Celui-là, on peut le comparer à celui qui nous traverse en entendant la Marseillaise lorsque les diables tricolores pénètrent sur le terrain.
Je sais aujourd’hui que la mésentente entre les hommes peut faire obstacle à l’expression de notre diversité, même dans un pays qui est sans doute le plus avancé au monde. De la même manière que l’on peut apprécier un paysage ou un mets, sachons reconnaître ce que les langues, les identités et les cultures nous ont légué, partout dans le pays. Merci, cher Marc Le Fur, pour ta constance ; merci à Daniel Poulou et à François Bayrou qui étaient là aussi ; merci à tous ceux qui luttent pour cette cause. Si nous parvenons à réviser l’article 2 de notre Constitution, la CAF de Pau ne pourra plus dire qu’elle ne peut autoriser l’ouverture d’une crèche en vallée d’Ossau au motif que l’on risque d’y apprendre l’occitan !
M. Yves Censi – Eh oui ! Cela existe !
M. Jean Lassalle – Le danger qui menace la France en la matière, c’est que l’on ne parle plus le français à l’extérieur de nos frontières. Le français est en train de s’écrouler comme les langues régionales ont commencé de le faire il y a cinquante ans. Soyons unis pour le défendre, tout en parlant toutes nos langues.
L’autre danger, c’est que, déçus par les espoirs qu’avait fait naître un objectif qui semble à portée de main, des nationalistes furieux se relèvent demain comme ils le firent naguère pour ensanglanter le pays (Applaudissements sur tous les bancs).
M. le Président – La parole est à M. Michel Liebgott.
M. Michel Liebgott – Pour contribuer à la diversité de notre débat, je vous parlerai pour ma part du francique, mosellan, rhénan ou luxembourgeois. Le francique n’est pas l’alsacien, même si le droit local rassemble l’Alsace et la Moselle. Au plan historique, Clovis et Charlemagne ont eu le francique rhénan pour langue maternelle et les serments de Strasbourg, prémices du traité de Verdun de 843, ont été rédigés dans cette langue. C’est dire si le francique nous rattache à la formation de notre unité nationale ! Au plan linguistique, il faut noter que des milliers de mots français proviennent directement ou indirectement du francique. De surcroît, le francique possède toujours localement une grande valeur communicative pour la vie quotidienne et familiale. Ainsi, la solidarité entre les générations s’exprime souvent par ce biais.
Le francique présente aussi une forte dimension culturelle et il influe sur la toponymie comme sur la prononciation du nom des gens. Au plan politique, il possède aussi une grande valeur dans la mesure où nous sommes dans une région frontalière faite de diversités. Le francique rassemble aujourd’hui le Grand Duché de Luxembourg – avec la richesse dont atteste son rang de premier pays pour le PIB par habitant –, les Länder allemands de Sarre, de Rhénanie et du Palatinat, ainsi qu’une partie de la Belgique avec le Pays d’Arlon. L’Europe s’est donc aussi construite autour de cette variante linguistique.
Enfin, le francique présente un impact économique. Avec la disparition des frontières, les travailleurs se déplacent sans limites et, aujourd’hui, ce sont plus de 100 000 Lorrains qui vont quotidiennement travailler au Luxembourg, ce qui permet à la région de connaître un taux de chômage à peu près analogue au chiffre national. Si tel n’était pas le cas, la situation serait à l’évidence bien plus catastrophique ! Je signale au passage que depuis 1984, le francique est la langue officielle du Grand Duché.
Parce que nous ne voulons plus être stigmatisés, nous souhaitons que ce débat marque un commencement et non une fin. Faisons en sorte que plus jamais des arrêtés fixant les programmes d’enseignement – comme ceux du 20 mars et du 25 juillet 2007 – « oublient » que les langues régionales d’Alsace et des Pays mosellans existent et sont encore largement pratiquées. Si on les oublie aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain, alors que les locuteurs auront progressivement disparu ?
J’appuie par conséquent le vœu exprimé par nombre de mes collègues de voir rapidement réviser l’article 2 de notre Constitution. L’unité du pays n’a rien à redouter de la richesse née de sa diversité (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. le Président – La parole est à Mme Muriel Marland-Militello.
Mme Muriel Marland-Militello – Je suis très heureuse de pouvoir m’exprimer sur ce sujet et j’ai le plaisir d’associer à mon propos notre premier questeur, M. Richard Mallié. Stendhal écrivait : « Le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue ». Le débat qui nous réunit cet après-midi m’évoque l’examen d’une boite de Pandore, qu’il convient d’ouvrir avec la plus grande prudence. En effet, l’enjeu sous-jacent n’est pas mince puisqu’il s’agit de notre unité nationale. Ne l’oublions pas !
Si comme le dit Ernest Renan « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours », je suis persuadée que, dans notre État unitaire décentralisé, la langue est un des ingrédients les plus importants qui composent notre unité. Ouvrir cette boite de Pandore, même dans des conditions de sécurité adéquates, demande du courage. À ce titre je tiens à vous féliciter, Madame la ministre, d’avoir permis ce débat qui me concerne tout particulièrement en tant que française, niçoise et élue des Alpes-Maritimes.
Tout d’abord, je tiens à rappeler devant la représentation nationale que la langue française est l’âme de la France et doit le rester. Notre langue commune participe de notre identité commune. À ce titre, je suis opposée à ce que les langues régionales ou minoritaires deviennent des langues officielles de la République au même titre que le français. C’est pourquoi, outre les problèmes de coût que cela poserait, je trouve inutile de rendre obligatoire la traduction en langues régionales des lois ou des actes des collectivités territoriales.
M. Marc Le Fur et Mme Gabrielle Louis-Carabin – Nous n’avons jamais demandé cela !
Mme Muriel Marland-Militello – L’enseignement de la langue française, fruit d’un métissage et d’une histoire multiséculaires, doit rester seul obligatoire. Les actions de Xavier Darcos en faveur de la maîtrise de la langue française à l’école vont dans le bon sens. Car comment peut-on s’intégrer et trouver sa place dans une société dont on ne maîtrise pas la langue commune ?
Néanmoins, cette nécessaire unité linguistique ne s’oppose pas à une meilleure reconnaissance de nos langues régionales. En la matière, bien des progrès restent à faire. Nos langues régionales sont l’esprit et la culture de nos régions. À ce titre, elles font partie intégrante de notre patrimoine culturel. Et nous avons tout lieu de nous réjouir de l’intérêt des jeunes générations pour cette richesse.
C’est pourquoi le problème essentiel est à mes yeux celui de la transmission des langues régionales. Chaque élève qui veut apprendre la langue régionale de son territoire pour se familiariser avec cette culture doit pouvoir le faire. Cela passe beaucoup plus par la formation et l’affectation d’un nombre suffisant de professeurs dans ces langues que par d’autres voies.
Avec Christian Kert, ici présent, nous proposons qu’au titre de la reconnaissance de ces langues par l’État soit créée par exemple une agrégation en langue d’Oc, qui n’est pas la moins parlée ni celle qui a donné le moins de poètes. Cet enseignement de la langue d’oc doit s’effectuer dans le respect des variétés dialectales de Provence, de Languedoc, de Limousin, d’Auvergne, de Béarn et de Gascogne. C’est cela, la multiplicité des cultures, qui fait que chacun, étant reconnu pour ce qu’il est, accepte les autres. Il n’est pas nécessaire de rendre cet enseignement obligatoire, mais il doit être inclus dans les horaires normaux ; et la répartition au sein de chaque région doit être équitable : à Nice, l’enseignement du Nissart est un peu défavorisé.
Enfin, après le rapport Poignant de 1998, resté lettre morte, il serait bon d’en établir un nouveau pour dresser un état des lieux. En revanche, une modification constitutionnelle ne me paraît pas nécessaire : une loi suffit.
Ma position se résume par d’une formule : une langue pour notre nation, des langues pour nos régions ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP)
M. Paul Giacobbi – Depuis 2002, à chaque révision de la Constitution, nous avons eu un débat incident sur les langues de France. À chaque fois, les mêmes contre-vérités ont été réitérées. Je me réjouis que ceux qui s’opposent aux langues régionales avec acharnement évitent aujourd’hui la récidive – par leur absence !
Les langues régionales sont bien des langues : les linguistes, tel Claude Hagège, reconnaissent cette qualité au corse, au picard, au breton comme au basque, à l’occitan ou bien d’autres.
La République n’est pas menacée dans son unité par une ratification de la Charte européenne des langues régionales, alors même que l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Hongrie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et bien entendu la Suisse l’ont ratifiée depuis longtemps sans en avoir en aucune manière souffert.
L’actualité olympique nous rappelle que la France mène dans le monde une action exemplaire pour défendre les langues minoritaires, en particulier le tibétain au Tibet. Les mêmes qui moquent nos langues régionales veulent imposer à la République populaire de Chine que le tibétain soit enseigné et constitue une langue officielle des services publics et de l’administration – tout en ignorant qu’il n’est pas employé dans les prières, qui sont psalmodiées en sanskrit !
Rappelons-nous qu’il a fallu sept siècles, des serments de Strasbourg en 842 à l’ordonnance de Villers-Cotterê ts en 1539, pour que le français soit reconnu comme une langue à part entière et non pas comme une corruption fautive du latin, voire comme un parler barbare. Aujourd’hui dans le monde, il s’efface, même dans nos anciennes possessions. Il est marginalisé dans les organisations internationales. Dans bien des domaines essentiels, des sciences au droit et même dans les humanités, il recule au point qu’il n’est plus possible d’accéder à un certain niveau professionnel, scientifique ou universitaire sans maîtriser l’anglais.
Ce qui arrive aujourd’hui au français au plan international ressemble à s’y méprendre à ce qui est arrivé à nos langues régionales au fil des siècles. Mais l’agonie d’une langue n’est pas irréversible ; la reconnaissance, voire l’officialisation peuvent le faire renaître. L’hébreu, le norvégien, et bien d’autres langues ont été exhumées et adaptées au monde moderne.
Le français lui-même a besoin de se régénérer par la confrontation, et ce n’est pas par hasard si beaucoup de nos très grands écrivains, de Villon à Victor Hugo, n’ont pas négligé d’étudier et d’admirer les parlers différents, jusqu’à l’argot tant méprisé par nos élites. L’un des derniers textes que j’ai lu en bon français est le manifeste du collectif « Qui fait la France », preuve que la pratique de l’argot des banlieues n’empêche pas de parler français, voire de proclamer son amour de la France.
Aujourd’hui, il nous faut refuser toute hypocrisie et tout faux-semblant. Ce débat doit être le dernier car nous devons trancher : soit nous acceptons les langues régionales et minoritaires, comme l’ont fait la plupart des grandes nations du continent européen, et nous réglons le débat constitutionnel en acceptant d’inclure un article dans la révision à venir, soit nous refusons purement et simplement de reconnaître nos langues régionales et la France revient sur sa signature de la Charte. Oui ou non, allons-nous modifier notre Constitution pour nous permettre de ratifier la Charte ? Allons-nous nous inspirer du modèle turc ou nous aligner sur la quasi-totalité des pays de l’Union européenne ? Telle est la question (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. Jacques Domergue – Né à Perpignan et ayant parlé enfant le catalan, je puis vous dire combien j’en apprécie les nuances et les spécificités, souvent intraduisibles en français. Cet acquis du plus jeune âge est une richesse incontestable pour un individu.
Aujourd’hui député de l’Hérault, j’ai découvert l’occitan à travers les radios associatives, mais aussi grâce aux écoles calendrettes. J’ai eu la chance d’en visiter une la première année de mon mandat, un élève ayant été élu au Parlement des enfants. À l’heure de la mondialisation, à quoi bon apprendre des langues régionales, me disais-je ? Or à l’occasion de cette visite, j’ai pu me rendre compte que la richesse acquise par ces enfants avait ouvert des portes dans leur esprit, notamment pour l’acquisition des langues étrangères. Le retour aux langues régionales permet de s’appuyer sur un socle solide pour affronter le monde moderne.
En 2004, Georges Frêche a voulu donner le nom de Septimanie à la région du Languedoc-Roussillo n. S’il a échoué, c’est uniquement parce qu’il a traité le catalan de « patois », ce qui a provoqué une levée de boucliers.
Il est hors de question de mettre en danger l’unité nationale, de mettre en question la force du français ; et l’apprentissage des langues régionales n’est pas incompatible avec la promotion de la francophonie. Il s’agit simplement de permettre à chacun de puiser dans ses racines, tout en évitant le développement de particularismes régionaux. La solution proposée par le président de la commission des affaires sociales est raisonnable ; elle ne mettra pas en danger l’unité nationale et doit nous encourager à promouvoir les langues régionales (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Simon Renucci – Nous avons au début de l’année déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à la reconnaissance des langues régionales, visant à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine », afin de permettre la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires. Mais que de réticences et de résistances à ces quelques mots !
Depuis l’édit de Villers-Cotterê ts de 1539 qui consacre le français comme la langue officielle de la France, le pouvoir politique a toujours fait en sorte qu’elle devienne la seule langue de France. Les grands événements de notre histoire, comme la Révolution ou la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1870, ont forgé le triptyque langue-État-nation.
La maîtrise de la langue française par le peuple a joué un rôle déterminant dans le recul des obscurantismes et de l’ignorance. Mais faut-il pour autant occulter les réalités culturelles et linguistiques de nos régions, au prix de la disparition de certaines d’entre elles ?
Le temps est désormais venu de réévaluer la situation. Dans la seule France métropolitaine, trente langues survivent, telles l’alsacien, le breton, le champenois, le corse, le flamand, le lorrain, le picard… Dans des régions qui sont souvent transfrontaliè res, le bilinguisme vécu est comme une richesse partagée, dans le respect d’un passé singulier, d’une histoire particulière qui fonde l’idée d’égalité.
Au niveau européen et international, nous nous battons, avec raison, pour sauver le plurilinguisme dans les institutions et notamment pour que le français, face aux attaques continuelles de l’anglais, reste une langue officielle. Il faut c’est évident, que les représentants de chaque pays européen parlent leur langue d’origine pour être compris de leurs concitoyens. Mais pourquoi, par cohérence, ne pas reconnaître le plurilinguisme en France ?
Depuis Prosper Mérimée et avec la loi Malraux, nous avons songé à la sauvegarde d’un patrimoine matériel ; mais qu’en est-il des langues et des cultures en tant que patrimoine vivant ?
En Corse, la loi du 22 janvier 2002 a confié à l’Assemblée de Corse le soin d’élaborer un plan de développement de la langue et de la culture corses. Sont proposés notamment trois heures hebdomadaires d’enseignement à tous les niveaux, la généralisation du bilinguisme à l’école maternelle et la création d’au moins un site bilingue du premier degré, par secteur de collège. Ce plan a été élaboré dans un cadre conventionnel et partenarial avec l’État ; le droit positif se contente d’entériner ces expériences, la charte en constituant la consécration.
Enfin, nous devons ajouter à notre Constitution ces quelques mots que d’autres ont égrenés avant moi : « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».
Comme le souligne le professeur Bernard Cerquiglini, ce n’est pas sur la langue que porte ce débat, mais sur les représentations qui lui sont associées. Or la France n’est pas menacée par les identités régionales. N’ayons pas peur ! Si j’ai toujours défendu les langues et la culture régionales, c’est parce que, loin de se réduire au nombre de locuteurs, les langues, comme le pain, appellent le partage et constituent une richesse commune.
J’ai passé mon enfance à Cozzano, un village du sud de la Corse, dans la vallée du Taravu, où l’on parle corse et où cette langue sert de lien dans la vie quotidienne. Ma mère en était l’institutrice selon le style en vigueur sous la Troisième République. Elle nous apprenait le français, clef des sciences et de l’instruction. C’est dans cette double identité, qui n’en faisait en réalité qu’une, que j’ai grandi, lisant dans un village corse, au fronton de l’école de la République, nos principes : liberté de mes origines, égalité de mes droits, fraternité entre tous. Cela ne m’a pas porté préjudice !
M. le Président – Veuillez conclure.
M. Simon Renucci – Madame la ministre, je suis convaincu qu’en intégrant à notre ordre juridique la Charte des langues régionales et minoritaires, vous enrichirez notre identité, rendrez les Français plus ouverts et notre pays plus grand et plus généreux. Car nos langues régionales font les saveurs et les couleurs de la France, sa vérité et son authenticité.
Puisque la France est la mère patrie de nos régions, demandons-lui en corse : « O Ma, parla mi corsu » – « maman, parle-moi corse » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur de nombreux bancs du groupe UMP)
M. Alain Marc – Voulu par le Premier ministre – dont l’initiative a été relayée par plusieurs de nos collègues, dont MM. Le Fur et Rocca-Serra –, ce débat constitue une première étape vers la reconnaissance des langues régionales, trop longtemps méprisées ou ignorées par notre nation, pourtant prompte à prôner la diversité culturelle au niveau mondial.
Trop souvent, le débat sur les langues régionales s’avère réducteur, du fait d’une méconnaissance qui frise la caricature : il est faux de dire qu’en veillant à les faire mieux connaître, on porterait atteinte à l’unité de la République ou on affaiblirait le français. En effet, les élèves qui les apprennent en immersion – le plus souvent dans des écoles associatives – ou en pratiquant le bilinguisme – dans l’Éducation nationale – obtiennent, lors des évaluations nationales des compétences en français et en mathématiques, des résultats en moyenne supérieurs à ceux des élèves monolingues. En outre, les effets positifs de cet enseignement sur l’apprentissage d’autres langues ne sont plus à démontrer.
M. Marc Le Fur – C’est vrai !
M. Alain Marc – Ainsi, dans l’académie de Toulouse, en 2007, 1 780 élèves apprenaient l’occitan en section bilingue, 600 en immersion dans les calendrettes et plus de 40 000 de manière extensive, c’est-à-dire en assistant à une vingtaine de séances de sensibilisation par an. Or selon une thèse soutenue fin 2007 à l’université de Toulouse-Le Mirail, le développement de leurs compétences métalinguistiques leur a permis d’obtenir lors des évaluations régionales et nationales de meilleurs résultats que les élèves monolingues en français, mathématiques et langues étrangères alors même qu’ils ne sont pas issus de catégories socio-professionnel les plus élevées.
« Le souci de veiller à la préservation du patrimoine national dans l’expression de sa diversité et la nécessité de maintenir l’identité culturelle au sein de la communauté nationale m’amènent à réaffirmer l’engagement de l’État en faveur de cet enseignement ». Qui s’exprimait ainsi en 1995 ? Xavier Darcos, alors directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale, dans une circulaire qui a fait notablement progresser l’enseignement de ces langues dans nos régions, mais dont certains recteurs d’académie ont freiné, voire refusé l’application – de manière tacite ou explicite.
Outre l’enseignement, les aspects culturels ne doivent pas être négligés. Ainsi, pourquoi la signalétique de nos villes et de nos villages ne serait-elle pas bilingue ? Pourquoi occulter notre passé dans nos manuels d’histoire ? Eh oui, les troubadours s’exprimaient en occitan ! Pourquoi ne pas nous enorgueillir de l’apport de ces cultures à la France ? Pourquoi les langues régionales ne se voient-elles accorder une modeste place dans les médias audiovisuels publics qu’au prix d’âpres négociations ?
Parce que notre nation n’a plus rien à craindre de ses langues régionales, la représentation nationale doit en inscrire clairement la place dans une loi, afin de prolonger ce débat et de graver cette reconnaissance dans le marbre. On l’a dit : le moment est historique. Car, sans cette loi, en laissant ses langues et ses cultures régionales s’affaiblir, c’est sa substance même que perdra la France. Renforçons nos cultures régionales et c’est notre culture française qui en sortira plus forte ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC)
Mme Marie-Lou Marcel – Trente et un départements français appartiennent linguistiquement à l’Occitanie ; quinze millions d’habitants les peuplent, qui sont moins de 10 % à parler quotidiennement la langue mais 20 % à la comprendre. Selon toutes les enquêtes, même dans des régions éloignées du cœur historique de l’Occitanie, comme l’Auvergne, une large majorité de cette population souhaite que soient maintenus, voire accrus, les efforts visant à développer l’enseignement de la langue et son utilisation dans les médias, la vie quotidienne, les créations artistiques et littéraires. Au printemps 2007, à Béziers, une manifestation à l’appel de toutes les associations occitanes a réuni plus de 20 000 personnes, dont une majorité de jeunes, et de nombreux élus de toutes tendances politiques.
M. Yves Censi – J’y étais !
Mme Marie-Lou Marcel – Ainsi, un mouvement est né, bien que la transmission familiale d’une langue et d’une culture séculaires ait régressé. Des troubadours du XIIIe siècle à Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature en 1904, cette langue avait nourri de prestigieuses créations poétiques diffusées dans l’Europe entière, tout en continuant à dire dans les moindres chaumières « l’eau, le vent, le travail et l’émotion des hommes », comme l’écrit si bien Claude Marti. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliers d’écoliers, de collégiens et de lycéens l’apprennent, et, au côté des calendrettes, qui assurent une immersion approfondie, des classes bilingues se sont ouvertes. En outre, de nombreux adultes désireux de retrouver leurs racines ou de mieux s’intégrer dans leur pays d’adoption suivent les cours dispensés par l’Institut d’études occitanes.
Eu égard à cette situation et au risque d’extinction qui perdure, la législation française souffre d’un retard incompréhensible à l’échelle de l’Europe, où les nombreuses langues « régionales » jouissent d’une reconnaissance et d’une protection officielles qui ne nuisent en rien à l’unité et à la prospérité des nations. Si, en des temps révolus, d’aucuns ont pu craindre que la protection des langues régionales ne porte atteinte à la cohésion de la nation française, c’est à des instituteurs de l’école publique que nous devons d’avoir rénové la langue d’oc et d’en avoir conçu l’utilité pédagogique – ainsi des languedociens Antonin Perbosc et Prosper Estieu, le provençal Célestin Freinet n’hésitant pas, quant à lui, à mettre l’occitan au service de ses méthodes de pédagogie active, universellement reconnues pour leur caractère novateur.
Pour leur part, les socialistes ont compris depuis longtemps que la défense de l’occitan, loin de menacer l’unité nationale, permettait aux jeunes citoyens de compléter leur formation, de connaître leurs racines, de s’initier aux autres langues latines et d’adresser un message fraternel aux peuples du monde entier. Ainsi, c’est la loi du 11 janvier 1951, dont le rapporteur était Maurice Deixonne, député socialiste du Tarn, qui a rendu possible l’enseignement des langues régionales dans les écoles de la République, avant que les circulaires de MM. Savary – en 1982 – et Jospin – en 1990 –, ministres socialistes de l’Éducation nationale, n’en encouragent la diffusion, peu avant la création du CAPES d’occitan, en 1992.
M. Alain Marc – Vous oubliez Darcos !
Mme Marie-Lou Marcel – En outre, ce sont des régions socialistes – l’Aquitaine, le Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillo n – qui viennent de voter des plans de développement de la langue et de la culture occitane… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
M. Yves Censi – C’est faux ! Il y en avait avant et des régions de droite l’ont également fait !
Mme Marie-Lou Marcel – …dans un climat consensuel, transcendant les clivages politiques.
En apprenant et en diffusant l’occitan, on ne fait donc preuve ni de nostalgie ni d’archaïsme. Les touristes et les hommes d’affaires en voyage à Barcelone y constatent du reste qu’en pratiquant la langue d’oc, on accède immédiatement au catalan. Ainsi se vérifient les intuitions exprimées dès 1911, à l’occasion d’un voyage à Lisbonne, par le grand socialiste…
Un député du groupe UMP – Sectaire !
Mme Marie-Lou Marcel – …, également révéré au-delà de notre seule famille politique, qu’était Jean Jaurès. « Quelle joie et quelle force pour notre France du Midi si, par une connaissance plus rationnelle et plus réfléchie de sa propre langue et par quelques comparaisons très simples avec le français d’une part, avec l’espagnol et le portugais d’autre part, elle sentait jusque dans son organisme la solidarité profonde de sa vie avec toute la civilisation latine ! », écrivait-il ainsi dans La Dépêche du Midi le 15 août 1911.
M. le Président – Veuillez conclure.
Mme Marie-Lou Marcel – Mais les mesures indispensables en matière d’enseignement, de diffusion médiatique et d’aide aux créations littéraires et artistiques doivent être précédées et fondées par un statut légal, très attendu. Mme Massat et M. Nayrou s’associent à ce constat. J’espère donc que notre proposition d’amender l’article 2 de notre Constitution suscitera un large assentiment (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. Jean-Pierre Decool – Permettez-moi tout d’abord de me féliciter que, dans cet hémicycle, mon patronyme flamand soit toujours correctement prononcé ! Je me réjouis également de l’organisation de ce débat sur les langues de France, le premier de la Cinquième République sur le sujet, car il est essentiel que la représentation nationale s’intéresse à cette composante majeure de notre société. En effet, en évoquant les langues patrimoniales, nous insistons sur la richesse culturelle de notre pays, nous défendons les particularité s qui font la diversité de l’Hexagone et nous tenons compte du besoin qu’éprouvent les Français de définir leur identité et de retrouver leurs racines.
Il ne s’agit naturellement pas de céder à une tentation régionaliste ou intégriste. Au contraire, c’est la diversité culturelle et linguistique de la France qui fait sa richesse et son unité, et les langues régionales contribuent fortement à la promotion des terroirs locaux et au développement économique de nos régions, notamment des zones transfrontaliè res : l’activité festive et touristique de ces territoires doit beaucoup aux outils d’échange que constituent les langues dites minoritaires.
Député de Bergues, dans les Flandres, je rappelle que, dans le Nord, beaucoup de nos concitoyens parlent encore le flamand et y demeurent très attachés, non par séparatisme, mais par plaisir, et parce qu’ils y voient un symbole de l’identité flamande, composante de l’identité française.
Ainsi, en quatre ans, le nombre d’élèves assistant aux cours de flamand dispensés par l’Institut de la langue régionale flamande – créé en 2004 pour promouvoir et développer ce patrimoine – a été multiplié par cinq. En outre, un centre de ressources documentaires flamand, installé au sein d’un centre culturel et ouvert à tous, a vu le jour à Steenvoorde, grâce à l’action conjointe de l’Institut et de Jean-Pierre Bataille, conseiller régional et maire de la ville. Et, dans plusieurs villages de ma circonscription, les plaques de rues sont libellées dans les deux langues. Ainsi, à Brouckerque, les lieux-dits ne se prononcent qu’en flamand !
Il faut aussi rappeler la complémentarité entre la pratique de la langue régionale flamande et celle du néerlandais. Pour accompagner ces initiatives, une loi est nécessaire, qui doit définir un cadre, clarifier la situation des langues régionales et reconnaître leur apport en termes de diversité culturelle. Après les premières assises des langues régionales de France de 2003 – il est urgent d’organiser une seconde session – les associations attendent l’égalité de traitement entre les différentes langues de France, mais aussi la reconnaissance de l’existence des langues régionales en dehors de l’école. Nous attendons aussi un encouragement de l’enseignement bilingue avec des moyens concrets dans les milieux scolaires et associatifs. De telles avancées permettraient de valoriser notre patrimoine et donneraient un écho particulier au mot « égalité » qui figure dans notre devise, inscrite sur les frontons de toutes les mairies de France et énoncée à l’article 2 de notre Constitution, qui précise aussi que la langue de la République est le français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe SRC).
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – La vigueur, la conviction, l’inspiration parfois très personnelle de vos interventions témoignent de la place qu’occupe la question des langues régionales qui, au-delà des institutions et des milieux spécialisés, intéresse l’ensemble des Français. Ils attendent des réponses claires.
Le Gouvernement ne souhaite pas s’engager dans un processus de révision constitutionnelle pour ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, et cela tout d’abord pour des raisons de principe. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 15 juin 1999, avait en effet relevé que la ratification de la Charte supposait l’adhésion à son préambule, aux dispositions générales et à ses objectifs et principes, qui ne sont pas dépourvus de toute portée normative. La ratification de la Charte implique la reconnaissance, qui n’est pas seulement symbolique, d’un droit imprescriptible de parler une langue régionale, notamment dans la sphère publique. Ce droit, qui figure explicitement dans son préambule, est, comme l’a souligné le Conseil, contraire à des principes constitutionnels aussi fondamentaux que l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi et l’unité du peuple français. Le problème va donc au-delà de l’articulation de la Charte avec l’article 2 de la Constitution : cette ratification engagerait notre noyau dur constitutionnel, qui interdit de conférer des droits particuliers à des groupes spécifiques, et qui plus est sur des territoires déterminés. D’ailleurs, l’expression de « minorité linguistique », qui tend à faire penser à des minorités opprimées, me paraît contraire à la philosophie et à la réalité de notre République.
D’autre part, personne ne pourrait défendre l’idée d’une administration obligée de s’exprimer aussi dans la langue d’une région donnée, et qui recrute des fonctionnaires qui la maîtrisent, afin de faire droit à des revendications légitimées par la charte. Ce serait l’une des conséquences logiques possibles de la ratification.
Mme Marylise Lebranchu – Mais non !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Le gouvernement signataire de la Charte en 1999 l’avait bien compris, qui avait assorti sa signature d’une déclaration interprétative. Mais qui nous assure qu’une autre interprétation ne sera pas faite ? Vous me direz que nos grands voisins, comme l’Espagne, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont ratifié la charte.
Mme Marylise Lebranchu – Absolument.
M. Yves Censi – Vous étiez garde des Sceaux, à cette époque !
Mme Marylise Lebranchu – C’est le président Chirac qui m’a empêché de ratifier !
M. Yves Censi – Et qui était Premier ministre ?
M. le Président – Je vous en prie, seule Madame la ministre a la parole.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Mais il faut convenir que la forme de l’État y est différente, de même que la place des langues régionales.
La question de la langue a toujours revêtu une dimension particulière dans notre histoire institutionnelle et politique, depuis que l’ordonnance de Villers-Cotterê ts de 1539 a imposé au Parlement et aux tribunaux l’usage du français contre le latin. Il n’est donc pas étonnant que notre langue occupe une place symbolique dans notre socle de références communes. Par ailleurs, la ratification supposerait de clairement identifier les langues auxquelles le texte aurait vocation à s’appliquer. Selon le groupe de travail qui s’était appliqué à les recenser en 1999, il y en aurait quelque 79, dont 39 outre-mer. En métropole, cela inclut l’ensemble des langues concernées par la loi Deixonne – basque, breton, catalan, gallo, langue mosellane, langues régionales d’Alsace et langues d’oc – auxquelles s’ajoutent notamment le flamand occidental, le franco-provenç al et les langues d’oïl, ainsi que cinq langues parlées par des ressortissants français sur notre territoire : berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien occidental. On mesure donc la difficulté pour la France de fixer le périmètre d’application de la Charte, qui ne donne pas d’indication sur les critères d’éligibilité, comme un nombre minimum de locuteurs par exemple. Le risque de dispersion des moyens serait réel, au détriment des langues les plus représentatives.
Mme Marylise Lebranchu – Bon, on peut rentrer à la maison…
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – La charte a la particularité d’offrir des options : les États qui y adhèrent s’engagent à respecter, outre les principes et objectifs généraux, au moins 35 de ses 98 mesures. La France a sélectionné lors de sa signature 39 engagements, dont celui de rendre accessibles dans les langues régionales minoritaires les textes législatif nationaux les plus importants. Cela représenterait un coût très important pour l’État, proportionnel au nombre de langues retenues. Cette obligation concernerait les textes à venir mais aussi actuels, et entraînerait une sélection forcément subjective des textes les plus importants. Quant aux collectivités territoriales, elles ne seraient certes pas obligées de traduire leurs textes, mais leur refus pourrait sans doute être contesté devant les tribunaux sur le fondement du droit imprescriptible à parler une langue régionale que reconnaît le préambule de la charte.
Ratifier la Charte serait donc contraire à nos principes. L’appliquer serait difficile et coûteux et d’une portée pratique pour le moins discutable. Elle n’apporterait au mieux qu’une réponse symbolique à la question bien réelle de mieux faire vivre les langues régionales dans notre pays. Car notre refus de ratifier n’est pas du tout incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme linguistique : il faut veiller à ne pas opposer les langues régionales à la langue de la République. La singularité française se nourrit de la richesse de nos territoires, et les langues régionales font partie de notre patrimoine commun. Reconnaître la diversité linguistique, ce n’est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et imprescriptibles à leurs locuteurs dans la sphère publique : c’est d’abord encourager leur usage, permettre leur enseignement à chaque fois que les familles le demandent et favoriser leur expression culturelle, artistique et médiatique sur tout le territoire.
À cet égard, nous aurions avantage à y voir plus clair dans les textes actuels. Le Conseil constitutionnel montre la voie : ne sont contraires à la Constitution aucun des engagements souscrits par la France, dont la plupart se bornent à reconnaître des pratiques déjà en œuvre. Le Conseil ouvre ainsi une très large marge de manœuvre qui est à mon sens insuffisamment exploitée. En réalité, de nombreuses dispositions législatives existent déjà dans les cinq domaines énumérés par la Charte : médias, activités culturelles, échanges transfrontaliers, justice, et autorités administratives et services publics. Je rappelle qu’aucune disposition n’interdit à une collectivité locale de traduire ses propres délibérations – ce qui constitue une nuance importante avec l’obligation de traduction. De même, rien n’empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques et de conforter les territorialisations existantes, dans le respect des valeurs républicaines. Le principe de la demande des familles étant clairement posé, nous pourrions développer des conventions avec les collectivités locales et les associations, à l’image de celles qui régissent l’enseignement et la promotion de la langue basque dans les Pyrénées atlantiques, avec le très remarquable office public de la langue basque.
Mais si les dispositions légales et réglementaires existent, il est vrai qu’elles sont insuffisamment connues et qu’elles constituent un véritable maquis. Ce dont nous avons besoin donc, c’est d’un cadre de référence. Le Gouvernement vous proposera un texte de loi, ainsi que le Président de la République en avait émis l’idée lors de la campagne électorale, qui pourra récapituler l’existant et entrer dans le concret, dans le domaine des médias – on a évoqué les problèmes posés par le passage au numérique par exemple – de l’enseignement, de la signalisation ou encore de la toponymie. Ce texte ne devrait pas trop tarder à vous être présenté.
Voilà l’approche du Gouvernement pour accroître la place des langues régionales sur notre territoire et garantir leur vitalité : permettre plutôt que contraindre, inciter et développer plutôt qu’imposer. Il s’agit d’ouvrir un espace d’expression plus large aux langues historiquement parlées sur notre territoire – bref, de favoriser l’exercice d’une liberté d’expression. Nous la garantirons dans le respect de nos principes fondamentaux et du rôle primordial du français, notamment en matière d’apprentissage – le Premier ministre a rappelé dans le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française qu’elle est au plus profond le lien qui nous rassemble autour des valeurs de la République. Il n’est naturellement pas question de transiger sur le statut du français, mais personne d’entre vous ne le demande…
En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle. Les régions qui ont les plus fortes identités linguistiques sont en effet souvent celles qui sont les plus à l’aise dans la mondialisation.
Plusieurs députés du groupe UMP – C’est vrai !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Souvent, les enfants qui maîtrisent une langue régionale sont mieux armés pour parler d’autres langues. Je ne doute pas que le Parlement, renforcé dans ses pouvoirs par la réforme des institutions, prendra toute sa part à l’élaboration de cette loi. D’ailleurs, j’ai entendu aujourd’hui nombre d’idées et de suggestions précises tout à fait intéressantes qui montrent le degré de son engagement sur cet important sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. le Président – Le débat est clos.
Prochaine séance mardi 13 mai 2008 à 9 h 30.
La séance est levée à 19 h 30.
La Directrice du service
du compte rendu analytique,