Bertans del Pojet

Ce troubadour du Pays-Niçois de Puget Théniers (d’après « Biographies des troubadours A.G. Nizet, Paris 1964 et 1973 2e édition, J. BOUTIERE et H. SCULTZ) vivait au début du XIIIe siècle. Nous ne possédons que très peu de renseignements sur ce que fut sa vie. Il reçoit vers 1270 des mains de Charles Ier d’Anjou, Comte de Provence, un fief en Italie dans les Abruzzes. Sa bibliographie se trouve résumée dans les quelques lignes qui suivent.

« Bertrans det Pojet si fo uns gentils castellans de Proenssa, de Teunes, valenz cavaliers e larcs e bons guerrier. »

(Bertrand du Puget fut un gentil châtelain de Provence de Tinée (ou de Toulon selon les sources), cavalier vaillant et généreux et bon guerrier. Il écrivit de bonnes « cansons » et de bons « sirventés ».)

Tout ce qui nous reste de ses oeuvres est une « tenson » imaginaire où il dialogue avec sa « domna » (dame) et un « sirventes » (genre poétique qui traite de l’actualité sur un mode polémique et satirique) dirigé contre les riches avares :

1 – Extrait de la « tenson » :

« Domna, ieu soi lo vostre amics aitals :
Francs e humils, vers, adreiz e leials;
E serai vos de servir tan venals,
Que ja non m’er afans a sofir mals.
E vos domna, si com etz de bon aire,
Retenetz me, que ben er vostre sals,
Ab tan qu’ieu ja de re vas vos non vaire. »
(Dame, je suis tel votre ami :
Franc et humble, vrai, juste et loyal ;
Et serai à vous servir si soumis,
Que jamais ne me sera peine à souffrir maux.
Et vous, dame, puisque vous êtes très aimable (littéralement :de bon air)
Retenez-moi, (que) je serai votre protecteur,
Pourvu que jamains en rien vers vous je ne change.

2 – Sirventes :

De sirventes aurai gran ren perdutz,
E perdrai en enquera un o dos
Els rics malvatz on pretz es remasutz;
Qu’a lor non platz donar ni messios,
Ni lor platz res que taingna a cortezia ;
Mas ben lor platz quant ajoston l’argen :
Per so n’a mais cel que lo met plus gen ;
C’onors val mais que avols manentia.

Ja non serai dementitz ni vencutz
Qu’anc hom escars non fo aventuros ;
E si n’i a un qu’en sia cregutz,
Doncs n’a el faig alcun fag vergoignos
C’avers non vol solatz ni leugaria,
Ni vol trobar home larc ni meten ;
Ans lo vol tal qu’estia aunidamen
E tal qu’endur so que manjar deuria.

Que val tesaurs qu’ades es rescondutz,
Ni c’al pro tenc a nuill home qu’anc fos ?
Aitan n’ai eu (sol non sia mogutz)
Com an aquil que lo tenon rescos :
C’a mi non costa un denier si s’perdia,
Et ill an tot l’esmai e’l pensamen ;
E quan perdon l’aver perdon lo sen,
Et a mi an pro donat de que ria.

Per valentz fatz es hom miells mantengutz
Et accuillitz et honratz per los bos ;
E n’es hom miells desiratz e volgutz,
E’n pot menar plus honratz compaignos :
Que malvestatz ab pretz no s’aparia
Ni s’acordon, per lo mieu escien ;
Que pretz vol dar e metre largamen,
E malvestatz estreign e serra e lia.

Lai a’n Guillem Augier, on pretz s’es clutz,
Tramet mon chant, car el es cabalos :
E’ls enemics ten sobratz e vencutz,
Et als amics es francs et amoros,
Larcs e adregs e senes vilania ;
Et tot quant a dona e met e despen,
E non o fai ges ab semblan dolen :
Per qu’en vals mais, ja tan pauc nen metria. »
(Des « sirventes » j’aurai grande quantité perdue [j’ai écrit inutilement un grand nombre de sirventes]
Et j’en perdrai encore un ou deux
Aux [à l’égard des] riches mauvais en qui mérite est placé [à qui l’on accorde à tort du mérite];
Car à eux ne plaît donner ni largesse,
Ni leur plaît rien qui convienne à courtoisie ;
Mais leur plaît quand ils amassent de l’argent :
Pour ce [pourtant] en a plus celui qui l’emploie plus noblement ;
Car honneur vaut plus que vile richesse.

Je ne serai démenti ni vaincu [réfuté]
Disant que jamais homme avare ne fut entreprenant ;
Et s’il y en a un qui en soit cru [qui passe pour tel],
Alors il n’a fait aucune action honteuse [vilaine] ;
Car l’avoir ne veut soulas ni divertissements [la passion de posséder fuit les plaisirs et les divertissements],
Et ne veut trouver homme libéral et dépensier ;
Mais le veut tel qu’il se tienne honteusement
Et tel qu’il se prive de ce qu’il devrait manger [du nécessaire].

Que vaut trésor qui pour le moment est caché
Et qui n’est à profit à nul homme qui onques fût ?
Autant en ai-je (seulement ne soit mû) [à cette seule condition qu’il ne se soit envolé]
Qu’en ont ceux qui le tiennent en cachette :
Car à moi ne coûte (importe peu) un denier s’il se perdait,
Et eux en ont tout l’émoi et le souci ;
Et quand ils perdent l’avoir ils perdent le sens,
Et m’ont assez donné de quoi rire [et m’ont assez prêté à rire].

Par vaillants faits est un homme mieux considéré
Et accueilli et honnoré par les bons [les gens de bien];
Et n’est homme mieux dédiré et recherché,
Et en peut mener davantage honorables compagnons [peut par ses vaillants faits acquérir plus d’honorables compagnons] ;
Tandis que méchanceté avec mérite ne s’apparie
Ni ne s’accordent, à mon escient ;
Car mérite veut donner et employer libéralement,
Et méchanceté étreint et serre et lie [les cordons de la bourse]

Là à Guillem Augier où (en qui) mérite s’est enclos (réside)
J’envoie mon chant, car lui est parfait [est un seigneur accompli] ;
Et les ennemis il tient subjugués et vaincus ;
Et aux amis (avec les amis) est franc et affectueux,
Libéral et juste et sans vilenie ;
Et tout autant qu’il a, il donne et empoie et dépense,
Et il ne fait point avec mine chagrine [d’un air chagrin] ;
C’est pourquoi en vaut mieux, ja si peu en donna-t-il [« la façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne » (Corneille « Le Menteur »]*.

(à suivre…)

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