Vequi, mandat per Anna-Maria POGGIO, lo tèxto de la dicha de Felipe MARTEL sus Robèrt LAFONT a Ventabren lo Dimanche 23 septembre dau 2007.

Aquest jorn, Robèrt LAFONT èra recompensat per lo « Grand prix littéraire de Provence ». Per memòria vos donam lo liame de l’article que l’IEO-06 qu’avia publicat per anonçar l’eveniment.


http://ieo06.free.fr/spip.php?article949

REPONSE AU LAUS DE PROVENCA DE ROBERT LAFONT. (Felipe MARTEL)

On m’a demandé de répondre au Laus de Provença de Robert Lafont : ce n’est pas seulement un honneur, dont je remercie ceux qui me le font après avoir couronné l’auteur dont il est ici question. C’est aussi un défi. Certes, je connais Robert Lafont depuis maintenant plus de trente ans. Mais cela pèse peu face à la trajectoire d’un homme qui a décidé depuis maintenant plus de soixante-dix ans que la cause de sa vie serait celle de la langue d’oc. J’ai eu l’honneur de travailler avec lui dans le domaine de la recherche historique sur ce que fut le passé de nos pays d’oc. Mais cela pèse peu à côté d’un travail scientifique qui, entre histoire et histoire littéraire, linguistique, socio linguistique, s’est donné pour but de faire le tour de tout ce qu’il fallait savoir sur la matière d’oc, des Alpes aux Pyrénées, et des siècles obscurs où notre langue se dégage du latin jusqu’à aujourd’hui. Dès lors, ce que je dirai aujourd’hui à Ventabren, pourquoi ne pas l’identifier d’abord comme l’hommage non seulement de quelqu’un qui est un disciple et un ami, mais aussi comme le salut, d’un bout à l’autre de la Provence, entre un homme de l’ouest extrême, outre Rhône, de l’espace provençal, et quelqu’un qui vient de l’autre extrémité de cet espace, dans ces montagnes où notre langue se teinte de sonorités parfois bien étranges aux oreilles des gens des plaines ? Mais comment restituer l’entière dimension d’un homme qui est à la fois un artisan de la langue de Provence, en vers et en prose, un savant attentif à décrypter l’histoire de cette langue et de la littérature qui en a fait son outil, et l’infatigable animateur du cercle si longtemps réduit, plus large à présent, de ceux qui n’acceptent pas qu’on passe par pertes et profits la parole séculaire d’un peuple ?

Comment faire ? Dans le Laus que la parole de Serge Bec vient de nous restituer, Lafont nous mène d’un bout à l’autre de la Provence ; du coup j’ai envie de le décrire ici comme l’homme des chemins. Est-ce un hasard si un de ses premiers romans et l’un des plus autobiographiques peut-être s’appelle Li camins de la saba, les chemins de la sève ? Et est-ce un hasard encore si plusieurs décennies plus tard, le gros livre dans lequel il regroupe une partie des articles qu’il a écrits sur le Moyen âge littéraire d’oc s’appelle La source sur le chemin ? Ce chemin-là, c’est le chemin de Saint-Jacques auquel il attribue une importance déterminante dans la naissance de l’épopée médiévale. Oui, c’est peut-être là le meilleur biais pour appréhender l’itinéraire de Lafont, l’homme qui a parcouru toutes les routes du Midi, qui a régulièrement rendu visite aux cousins catalans, dont il maîtrise la langue, même quand l’époque se prêtait peu à de telles visites. L’homme aussi qui aujourd’hui partage sa vie entre Montpellier et Florence, puisque le temps qui a passé ne lui permet plus de cheminer autant que naguère.
Parmi ces chemins, il y a d’abord celui d’une vie. Il commence en 1923, à Nîmes. Il bifurque ensuite vers le Nord, et confronte Lafont, à l’âge critique de l’adolescence, là où se forgent les personnalités, à cet exil qui pour tant d’originaires de notre Midi a été la révélation que c’est bien de là qu’ils venaient, et que la mémoire de ce Midi, ils ne pouvaient s’en débarrasser si facilement. C’est donc là que ce garçon venu du Sud s’est découvert d’oc, une fois découverte, à travers les mots de Mistral dans Mireio, l’incontournable réalité d’une langue, et sa force créatrice là où il n’y avait auparavant que le langage familier et familial de ses grands-parents, le « patois », comme ils disent. Ce garçon qui peu à peu devient un homme, son chemin le mène ensuite, logiquement, vers le Félibrige, puis vers ce groupe d’hommes si confidentiel à ses débuts, rassemblé dans un Institut d’Etudes Occitanes, qui en 1945 se donne pour tâche de reprendre le flambeau de la renaissance d’oc telle que Mistral l’a fondée près d’un siècle plus tôt.

Certes, ce n’était pas une époque de tout repos. On sortait de la guerre, cette guerre qui nourrit les pages de son premier roman, la Vida de Joan Larsinhac. On commençait à entrevoir, sous l’apparente continuation de la vie rurale traditionnelle des villages du sud, l’amorce du changement de civilisation qui, vidant ces villages de façon parfois irrémédiable, en ces trente ans que l’on dit parfois glorieux, (mais l’ont-ils été tant que ça pour nos régions ?) allait entraîner la fin de la société qui jusque là avait porté, comme naturellement, l’usage de la langue d’oc. Cette langue, qui s’en soucie dans les hautes sphères ? Rares sont ceux, à Paris , qui savent qu’elle existe encore, et que des auteurs l’écrivent. Lafont est de ceux là, qui publie régulièrement, quoique confidentiellement d’abord, faute de moyens, des poèmes et des romans. C’est l’un des chemins qu’il a parcouru,qu’il parcourt aujourd’hui encore.

Il est poète, depuis son premier recueil, Paraulas au vielh silenci (1946), jusqu’a La gacha a la cisterna de 1998. Un exemple ? Son Laus évoque Arles, la ville à laquelle il consacre en1956 sa Cantata de la misèria dins Arle, parue, une fois n’est pas coutume dans une revue parisienne, les Lettres Françaises :

Rose Rose roigaterra / Plueja plueja manjacèu / nèbla nèbla banhacor / Misèria freja coma fanga / Aura d’aut mossega terra / Gèu gelat daguejanèu /Cèu d’estam galeja mort / Misèria dura coma peira.
Arle quichada coma un crit.
Bomba aguda crèbaterra/ Flors d’encèndi enauracèu / Vonve d’aut bacelacòr / Dolor dubèrta sus l’Autura. / Garba d’uelhs dançar dei serras / Gaugalin petar dei lèus / Eli negre nuech dei morts/ Dolor sens fe dolor sens gaubi.
Arle crebada coma un uòu
Sabèm nautres coma es tendre / Lo còs de l’òme dins la guerra.

‘(Rhône, Rhône ronge-terre / pluie et pluie dévore-ciel / brume brume baigne-coeur misère froide comme boue / Vent mistral décharne-crête / Gel gelé poignarde neige / Ciel d’étain plaisante-mort/ misère dure comme pierrre./ Arle serrée comme un cri.
Bombe aiguë défonce-terre / Fleurs de feu élève-ciel / mal de coeur bourdon d’en haut /Douleur ouverte sur l’Auture. /Gerbe d’yeux danse des crêtes / Poumon crevé coquelicot / le lys noir la nuit des morts / Douleur sans foi douleur sans forme. Nous savons, nuos, come il est tendre, le corps de l’homme dans la guerre)

Après ce tableau d’Arles sous la guerre la parole est donnée aux pauvres d’entre les pauvres, les caraques, ou les arabes employés aux rizières. La poésie de Lafont n’est pas une poésie de la tranquillité, ni du pittoresque. Mais elle a sa force, comme elle a son rythme. Ai-je le droit de dire que c’est en feuilletant dans une librairie les pages non coupées d’une anthologie de poésie d’oc où figurait un poème de Lafont que j’ai découvert à 17ans ce qu’était la poésie, là où mes professeurs ordinaires m’avaient laissé croire que la poésie, c’étaient les fables de La Fontaine ?

Poète, Lafont est aussi prosateur. J’ai évoqué son premier roman, Joan Larsinhac, qui conte la montée au maquis et la mort d’un jeune homme qui aurait pu être Lafont lui-même. Les romans ultérieurs, et quelques recueils de nouvelles, empruntent d’autres voies. Si Li camins de la saba mène le narrateur entre deux temps et deux lieux, du Paris de 1958 au village gardois des années trente où s’est passée sa jeunesse, les suivants, (Li maires d’anguilla, Tè tu tè ieu, l’icona dins l’iscle, nous mènent aux frontières de l’univers du fantastique, ou de la science fiction, qui a séduit plus d’un auteur d’oc au XXe siècle, de Louis Bayle ou Tennevin à Jean Boudou, Jean-Frédéric Brun ou Robert Marty -sans oublier bien sûr le maître, Joseph d’Arbaud lui-même. Depuis, avec la Reborsièra ou sa production la plus récente, Lo Cèrcadieu, Lafont a exploré la voie du roman où se mêlent fantastique et histoire. Au sommet de la courbe de sa production romanesque, les trois volumes de la Fèsta, roman échevelé qui lui aussi entraîne son lecteur d’une époque à l’autre, du Larzac à l’Italie, de l’autobiographique au fantastique.

Poète, prosateur, seulement ? Toujours attentif à explorer toutes les voies qui pouvaient s’ouvrir devant lui, Lafont a aussi écrit pour le théatre, une vingtaine de pièces là aussi. Seules quelques unes, une demi-douzaine peut-être, ont été jouées, notamment par la troupe toulonnaise d’André Neyton ou celle de Claude Alranq entre les années 70 et 80. La difficulté de trouver les acteurs et les moyens financiers indispensables, la difficulté aussi de trouver un public dans un pays où même le théatre en français subventionné peine à trouver des spectateurs dès lors qu’il est un peu exigeant, autant de raisons qui expliquent que ce théatre de Lafont reste largement à découvrir.

Notre homme est un écrivain, soit, et c’est lui qui est aujourd’hui récompensé. Mais il a aussi suivi d’autres chemins. D’abord celui qui s’ouvre devant le professeur de lettres qu’il a été, d’abord dans le secondaire, puis dans le supérieur. à partir de 1964, à Montpellier. C’est le chemin du pédagogue : qui a suivi les cours de Lafont sait qu’il mérite ce titre. Et son enseignement de professeur de français sait faire sa place à la matière d’oc, avant même que la loi Deixonne de 1951 entr’ouvre, non sans grincements poussifs et arrière-pensées-grinçantes, la porte de l’école française à ce qu’on ne sait pas encore appeler les langues de France. Parmi les jeunes élèves qu’il a croisés sur les bancs des lycées de Sète ou de Nîmes, certains l’ont, du coup, suivi dans son grand voyage, et sont devenus, eux aussi, écrivains d’oc. Mais cet enseignant est aussi un chercheur. On lui doit l’ouverture de chantiers, en ce qui concerne l’histoire littéraire d’oc, qui ont depuis été repris par d’autres ouvriers, mais qui marchent dans ses traces. C’est de la littérature « baroque » des XVIème et XVIIème siècles que traite sa thèse complémentaire, publiée ensuite, à Paris, sous le titre Renaissance du Sud (1970). Et depuis, cette période de notre histoire littéraire, longtemps considérée hâtivement comme un temps de décadence entre Troubadours et Félibrige, a pu attirer des chercheurs, certains, aujourd’hui même, qui pourraient être les petits-enfants de Lafont. Mais la période baroque ne lui suffisait pas. Il a fallu qu’il aille aussi voir du côté des grands ancêtres, les troubadours bien sûr, mais aussi ceux qui au Moyen Age ont utilisé l’occitan à d’autres fins que la seule confection de vers mélodieux. J’ai fait allusion à la problématique de l’épopée médiévale, des versions d’oc du mythe rolandien à ce chef d’oeuvre méconnu qu’est la cançon de la Croisade contre les Albigeois, sans oublier des textes non littéraires comme le manuel de chirurgie d’Albucassis, que Lafont a édité.

Bien sûr, il ne pouvait pas ne pas se tourner vers le Maître, vers ce Mistral à qui il devait la révélation des capacités de sa langue. Il lui consacre en 1954 un ouvrage, Mistral ou l’illusion, paru chez Plon, ce qui n’est pas rien, et qui a fait quelque sensation. D’aucuns, et non des moindres, ont perçu comme une agression ce qui n’est en fait qu’une des premières approches critiques sérieuses de l’oeuvre du Maillanais. La bibliographie concernant ce dernier est considérable, dès l’entre-deux guerres. Mais ceux qui la connaissent un peu savent bien qu’elle est essentiellement constituée des oeuvres d’auteurs qui le plus souvent ne parlaient ni n’écrivaient le provençal, et qui s’attachaient à donner de Mistral une image très particulière. Bref, de ces livres qui dès qu’on les feuillette donnent l’irrésistible envie de ne surtout jamais aller voir ce que sont les oeuvres de l’auteur dont ils chantent censément les louanges. Ces années cinquante sont pourtant celles qui voient paraître les premières vraies approches de l’oeuvre de Mistral : il y a Lafont, donc, il y a les Estudi mistralen de Charles Mauron, et il y aura en 1959 chez Seghers le Mistral de Sully-André Peyre, le « cher ennemi » dont parle le Laus. C’est sans doute un des drames de l’histoire agitée de la renaissance d’oc qu’entre ces trois hommes le dialogue ait été impossible, alors même qu’il aurait pu aller si loin.

Cette connaissance intime de l’écrit d’oc à travers l’ensemble de son histoire millénaire lui permet de donner en 1970, en collaboration avec Christian Anatole, une Nouvelle Histoire de la Littérature Occitane qui n’a pas encore été dépassée.
Il y a la littérature, il y a aussi la langue. Lafont le littéraire est aussi capable de se tourner vers la linguistique. Son maître, c’est Gustave Guillaume, et c’est sur ses traces qu’il écrit sa thèse, la Phrase occitane, un retour, longtemps après Jules Ronjat, sur cette syntaxe d’oc dont les romanistes parisiens de la Belle Epoque affirmaient d’autorité, et sans y aller voir, qu’elle n’existait pas. Ce chemin de la recherche linguistique, Lafont va le suivre pendant des décennies, approfondissant sans cesse ses approches initiales. Dans le domaine de la linguistique pure, cela donne la théorie de la praxématique. Mais Lafont est aussi un de ceux qui dès les années cinquante découvre ce qui va devenir la sociolinguistique. Face au déclin de la pratique de la langue, ses défenseurs avaient eu jusque là le choix entre deux attitudes, toutes deux affectives plus que rationnelles : soit ils prophétisaient lugubrement sa fin prochaine, avec toutefois la satisfaction douce amère de pouvoir se dire qu’ils seraient les derniers à savoir la parler et l’écrire, soit ils suivaient les préceptes du bon docteur Coué et allaient répétant que la langue ne mourrait pas puisqu’elle ne pouvait pas mourir. Robert Lafont a préféré s’engager dans une observation attentive des pratiques réelles, de leur évolution, de leur nature : la sociolinguistique américaine avait inventé le concept de diglossie pour décrire le contact, la cohabitation entre deux niveaux de langue, le haut et le bas, socialement connotés et correspondant chacun a des registres d’usage qui ne se confondent pas. C’est très exactement ce qui se passe entre la langue d’oc et le français : à la première le registre familier, l’idiome des classes populaires rurales et des classes d’âge les plus élevées, ce « patois » comme on dit, dont on a un peu honte, et qu’on ne jugera pas opportun de transmettre à ses enfants. Au français par contre la meilleure place, en attendant qu’il ait toute la place, dans tous les registres, des plus prestigieux aux plus ordinaires. Ce conflit, car c’est bien d’un conflit qu’il s’agit,Lafont l’observe et le décrit aussi bien dans les pratiques langagières actuelles que dans son ombre portée sur la production littéraire des siècles passés, jusqu’au moment où la volonté renaissntiste entreprend de le dépasser en restituant à la langue la dignité et l’ambition créatrice qu’elle avait perdues.

Car dans le cadre de ses études linguistiques comme dans celui de ses recherches littéraires, Robert Lafont associe toujours étude du présent et lien à un passé qui explique ce présent. Un des mots qu’il utilise le plus souvent est le mot d’histoire. L’histoire le fascine, et ce littéraire a su se doter au fil des ans d’une remarquable culture historique. On lui doit ainsi, en 1968, une analyse de l’histoire de France dans son rapport avec celle des peuples qui la composent (Sur la France), et aussi quelques ouvrages, en français, abordant les problèmes économiques et politiques qui se posent aux régions françaises ( de La Révolution régionaliste en 1967 , à l’Autre et le Sud, la France et son Midi en 2004.) Un regard sur la France qui au fil des ans s’élargit en une reflexion globale sur la nouvelle Europe.

Nous voilà loin de la littérature et de la langue, dira-t-on -ne serait-ce que parce que la plupart de ces ouvrages sont écrits en français. Mais c’est que Lafont, chemin faisant, s’est trouvé confronté au problème que d’autres avant lui avaient déjà rencontré, dès le temps de Mistral lui-même :comment défendre la langue sans se soucier du sort des populations qui la parlent. Ce n’est pas ici le lieu d’analyser le parcours politique de Robert Lafont. Mais il est clair que ce parcours n’est pas séparable de tous les chemins que nous lui avons vu emprunter.

Ces chemins se croisent et s’entrecroisent, ne s’écartent que pour se retrouver plus loin. Sous l’apparente diversité des approches, sous la boulimie de savoir de cet insatiable curieux, ily a une cohérence profonde. Et pas seulement du fait que toutes ces recherches tournent, pour l’essentiel, autour de la matière d’oc –même s’il est arrivé au linguiste de s’intéresser au latin ou aux langues sémitiques. Je suppose qu’au terme de ce tour d’horizon des préoccupations intellectuelles de Robert Lafont, il est superflu de souligner que le personnage est doté aussi bien d’une intelligence hors du commun que d’une force de travail qui fait l’admiration de tous ceux qui ont eu à collaborer avec lui, en même temps qu’elle leur inspire une sorte de découragement non dénué d’envie… Une bibliographie établie en 2005 recense 1066 publications, entre livres et articles, parfois courts, parfois occupant des dizaines de pages. Elle s’est enrichie depuis, et ce n’est manifestement pas fini. On conviendra que ce n’est pas là l’oeuvre d’un amateur et d’un dilettante. Et on conviendra que la distinction qui lui est accordée aujourd’hui est largement méritée.

D’autant plus que force est de constater que ses mérites n’ont pas toujours été reconnus comme ils le devaient. J’ai signalé au passage que plusieurs de ses ouvrages avaient été publiés à Paris. Il s’en faut de beaucoup pourtant que Paris l’ait reconnu à sa juste valeur. D’abord sans doute parce que son oeuvre littéraire est écrite dans une langue que les bons esprits de la capitale, et parfois aussi, hélas, leurs disciples provinciaux, considèrent au mieux comme une survivance pittoresque, au pire comme une anomalie agaçante.Voilà qui n’encourage ni à le lire, ni à se soucier des études qu’il a produites sur cette langue et le pays où on la parle. Quelle importance tout cela peut-il avoir aux yeux de gens qui ayant déjà du mal à admettre que le français ne soit pas encore la langue unique de toute la galaxie ne risquent certes pas de se pencher sur le patois, comme ils disent, ce patois dont leurs ancêtres prédisaient déjà la mort prochaine il y a deux siècles -ce qui au demeurant ne l’a pas empêché de survivre à ceux qui l’enterraient de si bon coeur. Ajoutons à ce préjugé tenace un second fait, plus propre, lui, au petit monde universitaire. Si le thème de l’interdisciplinarité constitue une figure quasi obligée de la rhétorique ordinaire de ce monde-là, cela ne signifie nullement que soient bien accueillis ceux qui se risquent à passer à la pratique -et Dieu sait si Lafont fait partie de ceux-là. Trop linguiste pour les littéraires, trop littéraire pour les historiens, trop occitan pour tous, tous diplômes confondus, voilà notre homme bien mal parti.

Est-il au moins apprécié à sa juste valeur dans le milieu de ceux qui se consacrent à l’illustration de sa langue ? Le péché mignon de ceux-là est leur goût pour la désunion et la controverse. Mes amis et voisins des vallées du Piémont ont inventé un proverbe : là où il y a trois Occitans, il y a quatre opinions différentes qui s’expriment. Ne voyons là aucune exagération méridionale, mal venue au surplus de la part de gens qui chez eux, sont d’ailleurs d’indiscutables septentrionaux ; voyons y plutôt la constatation d’un simple fait. Un des sujets les plus chéris des amateurs de controverse chez nous est la question de la graphie, qui agitait déjà nos devanciers du XIXeme siècle et qui a toujours du succès. Et c’est ainsi que la provençalité de cet auteur qui a noirci tant de pages en provençal a pu être mise en doute, parfois avec véhémence. Il y a un livre de Lafont que je n’ai pas encore cité, Lo Sant Pelau : c’est un petit livre anonyme en forme de roman picaresque, paru en 1971. Au fil des aventures de son héros, Lafont nous offre le tableau hilarant d’une grande bataille entre deux armées, celle des partisans du -o, et celle des zélateurs du -a. Une bataille qui se termine par l’intervention d’une troisième armée, celle du -e muet, qui met les deux autres d’accord en les taillant en pièces. C’est de l’humour, bien sûr –cela dit, l’humour peut avoir sa petite utilité parfois. Mais il y a au delà de l’humour la formulation d’une vérité élémentaire : il y a peut-être des priorités à respecter. Et quelle que soit l’importance des questions de graphie, elle reste minime face à ce qui est la responsabilité première de tous ceux pour qui la langue d’oc doit vivre et se développer. Il y a un moyen très simple d’en finir avec la question de la graphie : cesser d’écrire en provençal, tout bonnement. Est-ce vraiment cela que nous devons souhaiter ? N’est-il pas largement temps d’en finir avec des controverses qui détournent les énergies de l’essentiel ?

Aujourd’hui, ici à Ventabren, le chemin de Robert Lafont le ramène en Provence. Chez lui. Il a beaucoup marché. Les chemins qu’il a explorés nous sont à présent ouverts. Aux Provençaux de savoir accueillir comme il convient le Voyageur. Et d’honorer comme il convient celui qui a tout donné à la gloire de notre langue.

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