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Jean-Marie Lamblard a eu la gentillesse et la générosité de nous faire parvenir le premier volet de son étude célébrant la figue.

Nous vous rappelons que Jean-Yves ROYER avait illustré le sujet dans une de ses « Cronica de l’Agachaire » le 29 octobre 2011 (lo calendier republican celebrava la figa lo 7 de Brumaire) et dont nous vous trouverez les lien ci-dessous :


http://ieo06.free.fr/spip.php?article338

CÉLÉBRATION DE LA FIGUE

À la mémoire de Claude GAIGNEBET.

Né à Damas en 1938, Claude gaignebet est mort le 5 février 2012 à Paris, sur le Chemin des connaissances.

La civilisation de la Figue (premier volet)

Il y a belle lurette que je gardais sous le coude une note présentant l’histoire de la figue et du figuier. Cet arbre et ce fruit inter-méditerranéens, marqueurs de civilisation, sont trop impliqués dans notre culture pour être traités avec désinvolture. Au début, je pensais rédiger une courte notule gastronomique ; puis l’objet prit du volume et révéla ses ramifications. J’achevai bientôt ma thèse sur la civilisation de la Figue. Voici en primeur un court extrait, accompagné d’un document inédit de première importance.

On nous susurre qu’il y aurait des civilisations qui seraient moins civilisées que d’autres. A quoi identifie-t-on une civilisation ? Débarrassons-nous des évidences : d’abord aux oeuvres d’art produites par les individus qui en sont partie prenante. Il n’y a point de progrès en matière artistique. L’artiste de Lascaux ne pâlirait pas d’être mis en présence d’un de nos dessinateurs, et ceux de la grotte Chauvet pourraient décorer nos sanctuaires avantageusement.

Pour la musique, nous ne savons que peu de choses mais gageons qu’ils chantaient aussi bien que notre voisin. Le théâtre ? Nos références en la matière plongent leurs racines aux sources du néolithique… <>, me souffle la figure de carême qui lit par dessus mon épaule… Mon grand-père qui sortait tout droit du paléolithique n’avait pas été scolarisé (ne sait ni lire ni nager, dénonce son livret militaire), mais il était très adroit pour divertir nos soirées en animant des ombres projetées sur les murs à la lueur d’une lampe à pétrole, lorsque pendant la guerre l’électricité manquait. Ses deux mains lui suffisaient pour raconter à son auditoire Jean-de-l’Ours ou l’aventure de la petite fourmi qui s’en va en pèlerinage à Jérusalem. C’était déjà du cinéma parlant ! Mon grand-père était un érudit, on pouvait croire qu’il avait lu tout Socrate et même Pythagore ; et la caverne de Platon n’avait point d’obscurité pour lui.

Rejoignons le monde des enfants et leur gestuelle parlante.

Les mauvaises manières

Langage du geste, langage des signes. Signes de métier : le salut militaire par exemple. Signe de reconnaissance : la poignée de main. Signe de connivence des adolescents d’une même caste banlieusarde. Doigt d’honneur adressé aux forces de l’ordre lorsque l’effet de groupe protège le camp insurgé. La langue des signes a ses jurons.

La figue-au-pape, ou plus simplement « la figue » était le geste préféré des petits garçons du temps jadis. Ça commençait par l’enfançon à qui le grand-père « coupait » le nez en le saisissant entre l’index et le majeur, puis en lui montrant le bout qui restait entre les doigts. La castration du nez causait le premier effroi au mistouflet. La suite, en un enchaînement logique, conduit à Rabelais.

L’Isle des papefigues chez Rabelais

Mais revenons à la figue et concentrons-nous sur l’expression populaire « faire la figue-au-pape ».

Les encyclopédies ont retenu l’expressive image et datent sa plus ancienne mention dans un texte du XIIe siècle ; les philologues lui attribuent une origine italienne, ce qui n’est pas pour surprendre.

Rabelais, à qui il faut toujours revenir dès qu’il s’agit de choses sérieuses, traduit dans « Briefve Déclaration » : Ecco lo fico par « Voilà la figue ». Il ne fait alors que reprendre la leçon de son Quart Livre, chapitre 45 : Comment Pantagruel descendit en l’Isle des Papefigues.

Les admirateurs de l’oeuvre monumentale du bon médecin savent que maître François connaissait très bien les mers, les îles, et les navigations de son temps. Toutefois, les voyages de Pantagruel, que ce soit à la recherche de la plus gaillarde des herbes nommée pantagruélion, (Tiers Livre, ch. 49), du côté de Saint-Malo (le chanvre ?), ou à la rencontre des habitants de l’Isle de Papefigues, sont entourés de mystères. L’énigme demeure sur leur localisation exacte.

Nous savons que l’archipel est en Méditerranée non loin des Isles du moine d’Hyères. Les escales mentionnées font état de vins réputés tel le Frontignan, mais l’ensemble est crypté. Voici ce que raconte Rabelais :

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Du pantagruélion et de la poutargue

Sur la localisation de cette île, nous n’en saurons pas davantage. Faut-il suivre Charles Maurras lorsque, ramenant tout à sa patrie provençale, il affirmait que la seule île du littoral méditerranéen produisant des hommes gaillards, riches et libres, ne pouvait être que l’île du Martigues entre Jonquière et Ferrières où l’on pêchait depuis le fond des âges la fameuse poutargue, homologue dans l’ordre des produits de la mer du pantagruélion végétal. L’infirmité de Maurras (il était sourd comme un pot) influençait son jugement en matière de gaillardise, lui faisant peut-être confondre la figue et le poisson.

Revenons au Quart Livre ; je résume : Un jour de festivité, les notables de Papefigues étaient allés faire la fête dans l’île voisine de Papimanie où l’on se montrait partisans maniaques du pape. Un brave Guaillardetz, avisant le portrait papal érigé en procession, lui aurait fait « la figue »…

Jeu de main, jeu de vilain

figa.pngFaire la figue au pape est une raillerie grave. On fait la figue en passant le pouce de la main droite entre l’index et le médius, ce qui a une signification obscène bien connue des garçons. Les Papimanes de l’île voisine se mirent tous en armes, surprirent et saccagèrent l’île des Guaillardetz. Ils tuèrent tous les hommes valides. En outre, ils obligèrent les femmes et les jouvenceaux à reproduire la punition publique inventée à Milan en 1560 par l’empereur Frédéric Barberousse afin de venger l’affront subi par son épouse.

L’Asouade

L’empereur Frédéric Barberousse s’étant absenté de Milan, alors qu’il était en guerre contre les Lombards et le pape, les Milanais se rebellèrent contre lui, nous dit Rabelais ; ils chassèrent l’impératrice hors la ville ignominieusement montée sur une vieille mule « à chevauchons de rebours », à savoir le cul tourné vers la tête de la mule et la face vers la croupière.

L’outrage infligé à l’impératrice par les Milanais est la traditionnelle « asouade », temps fort des rites carnavalesques de Méditerranée et des charivaris. C’est d’ordinaire le rituel imposé aux maris cocus réputés tolérants ; mais alors il s’agit toujours d’un âne mâle. À Milan, le bouc émissaire étant une femme, les émeutiers choisirent une mule.

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[rouge]Illustrations : la chevauchée à l’envers, gravure du XVIIIe siècle [/rouge]

Chevauchée sur l’âne

L’asouade ne date pas d’hier. La cérémonie humiliante organisée par le groupe de jeunes célibataires d’une communauté est mentionnée un peu partout en Europe. Les chroniqueurs se sont plu à la décrire ou la croquer. D’après Claude Gaignebet, la coutume serait d’origine ionienne : l’ono-batis (Qui monte à l’âne ?), inventée pour punir l’adultère. <> (Angelo de Gubernatis ; Mythologie zoologique. 1874. p.396)

Bois gravé du XVIIIe siècle

La figue ? Chiche !

Rabelais poursuit la description des malheurs imposés aux habitants de l’île des Hommes gaillards (les Martégaux ?), en infligeant aux prisonniers le châtiment ignominieux prétendument inventé par Frédéric Barberousse envers les Milanais. Par son ordonnance, le bourreau mit dans le fondement de la mule une figue (Verte de préférence et point molle. Note de l’éditeur) et obligea les vaincus à extirper publiquement la dite figue avec les dents. Puis la remettre en propre lieu sans l’aide des mains, sous la queue. « Quiconque en ferait refus serait sur l’instant pendu et estranglé », nous dit Rabelais, Quart Livre, ch. 45.

Ceux des Gaillards qui acceptaient l’épreuve montraient la figue au bourreau en criant « Ecco lo fico ».

À compter de cette lutte désespérée contre les partisans du pape, les habitants de l’île perdirent leur prospérité et leur proverbiale santé en perdant leurs privilèges sur la poutargue. Depuis l’île se nomme Papefigues, ceux qui ont fait la figue au pape.

Nous sommes libres de douter de l’authenticité du récit attribuant à Frédéric Barberousse l’invention de l’ignominieuse figue. Il n’empêche, l’expression se trouvait dans le langage commun dès le XIIIe siècle ; pour preuve cette chanson du troubadour Raimon de Miraval (rapportée par Raynouard p. 392), où prenant le parti des Provençaux contre les Lombards, le poète décrit le Provençal plus vaillant en guerre et en mission, et souligne : « Prennent la souillure qu’ils avaient méprisée, ainsi comme le Lombard fit des figues… »

Les antiquités de la Figue

L’arbre et le fruit sont sur place depuis le fond des âges. Le nom fica des Italiens renvoie à l’origine du monde, et l’arbre de la Connaissance qui valut tant de malheurs à nos ancêtres Adam et Eve ne pouvait être qu’un figuier. C’est aussi sous un figuier que furent trouvés Remus et Romulus suçant les mamelles de la louve. Le nom français figue serait emprunté au vieux provençal « fica » au XIIe siècle note le Robert. Tous ces mots viendraient d’une famille linguistique méditerranéenne pré-indo-européenne.

Le geste précédant la parole, la fica, le signe de la figue-au-pape, que les garnements font avec leur pouce glissé entre deux autre doigts, est reproduit dans de nombreuses figurations. Le Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain conserve une plaque en calcaire de facture gallo-romaine où un avant-bras vigoureux nous montre la menace blasphématoire.

Des amulettes en bronze d’époque romaine trônent dans les vitrines des musées représentant l’organe masculin. Certains de ces pendentifs sont agrémentés, en outre, d’un avant-bras faisant la “figue” et d’un phallus. Ce sont des talismans de protection contre le mauvais oeil.

Mais la plus belle reproduction de la fica que je connaisse est encore inédite. C’est une sculpture provenant d’un célèbre site méditerranéen d’époque romaine de Tripolitaine. Fixé dans la pierre, le geste contre le mauvais oeil, doublé de la représentation réaliste de l’objet menaçant, s’annonce en fort relief, solidaire d’un bloc de calcaire, où l’on distingue un avant-bras droit, grandeur nature, et une main qui « fait la figue ». À l’opposé des doigts, la sculpture se termine par un phallus, ou plus justement, pour rester dans le domaine latin, par un fascinus. Je ne connais pas d’équivalent à cette représentation qui doit dater du IIe siècle de notre ère.

[rouge]La photo ci-dessous a été prise en 1998 ; cette sculpture n’avait jamais encore été montrée au public. (photo Lamblard)[/rouge]

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Aujourd’hui je n’en dirai pas davantage sur cette trouvaille en grand danger de mutilation, comme le furent les hermès d’Athènes si l’on en croit Thucydide (VI-27) ; le temps de Carnaval ne se prêtant guère aux gloses savantes pas plus que les guerres civiles.

À bientôt si vous le souhaitez.

Jean-Marie Lamblard Mardi-gras 21 février 2012

[rouge] Remerciements : Merci à Françoise Bader ; Claude Sintes ; Lyèce Boukhitine ; Jean-Pierre Baquié, IEO-O6.[/rouge]

Sur notre site vous pourrez lire 2 autres articles de Jean-Marie Lamblard :

http://ieo06.free.fr/spip.php?article463

http://ieo06.free.fr/spip.php?article482

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