Amis niçois et de toute l’Occitanie,
Nous sommes heureux aujourd’hui de vous proposer, comme promis, une traduction de l’article de l’inénarrable Henri TOURNIER, professeur d’histoire bête à l’université de Venanson, journaliste de « La Ratapinhata » dans les années 30 et, accessoirement, peintre-tapissier.
Pour vous situer le cadre du récit, il vous faut savoir tout d’abord que, de 1933 à 1935 et de 1945 à 1948, se déroulait à Nice un grand prix automobile entre les Ponchettes et le Négresco avec une boucle autour du jardin Albert 1er, parcours d’1,2 kms en tout.
Par ailleurs, l’emplacement qu’ont choisi nos courageux journalistes pour observer la course se trouve sur la coupole majeure du palais de la « Jetée-Promenade », c’est à dire à plus de 35 mètres de haut et, plus précisément, ils sont assis sur les dents de la fourche de la statue de sirène au sommet.
Voilà, nous vous laissons découvrir l’anecdote en vous souhaitant un bon divertissement.
Per tornar legir l’article en niçard : Lo Gran Prèmi automobila de Niça
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Le Grand Prix automobile de Nice
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Grâce à nos deux reporters fouineurs, Palhi et Tournier, les lecteurs de la Ratapinhata auront le plaisir de lire une nouvelle rance, vu la vitesse d’écriture de Tournier qui nous a envoyé un belin au gramme et la célérité de Palhi qui travaille toujours sur une grande échelle, vu qu’il est afficheur. Une semaine et treize jours avant le 18 août, jour de la course, nous avons établi avec Palhi un plan de bataille pour un reportage sensationnel. J’avais affûté mon stylo et Palhi s’était fait prêter les jumelles de l’Amiral du Vallon Obscur. L’ami Palhi en rêvait la nuit et les voisins se plaignaient qu’il changeait les vitesses en ronflant.
Le 18 août, avec un beau sourire, nous nous sommes présentés à l’entrée pour avoir accès à la tribune d’honneur. Palhi avait sa carte de presse de la Ratapinhata et moi, qui l’avais perdu, je m’étais mis la médaille du Saucisson Mireille et le brassard de la communion pour faire voir que j’étais en service commandé. On nous a fait courir comme des malfrats, à grands coups de pied au… train. Sans se décourager, nous sommes passés sous le Paillon couvert, jusqu’à la mer, avec des molletières de tôle pour se protéger des morsures de rats. Sortis de là-dessous nous sommes allés nous asseoir sur la fourche que tient en main la sirène de la grande coupole de la Jetée Promenade. Mais étant donné que cette fourche n’a que trois dents et que mon ami s’en est pris deux pour lui tout seul, je n’étais guère à l’aise pour écrire. Aussi, le stylo m’a échappé et j’ai failli me foutre à la mer, quand j’ai entendu la pétarade du départ donné avec une sarbacane garnie de poudre pour les punaises de lit. Puis je suis descendu pour aller chercher mon stylo dans la mer, parce que j’y tiens beaucoup vu que je l’ai trouvé dans une pochette-surprise. Et quand je l’ai repêché, la course était finie. J’ai aussi retrouvé mon ami content comme un marchand de socca qui aurait réussi à la vendre toute et le popotin rose de plaisir d’avoir eu les trois dents de la fourche pour être assis tout le temps de la course.
Malgré que je n’ai rien vu, je vais écrire avec l’eau de mer de mon stylo ce que m’a raconté mon ami Palhi. Je prends la plume et je lui laisse la parole… « A peine le départ eut-il été donné, le premier prend la tête et tous ceux de derrière faisaient un désordre terrible parce que, à part le premier, tous avaient des automobiles devant eux qui les gênaient. Et vire d’un côté puis de l’autre, et passe-moi devant que je m’en vais derrière, je n’y comprenais rien du tout. J’ai remarqué que personne ne tenait sa droite, qu’ils ne mettaient pas la main pour tourner et que les commissaires s’en fichaient éperdument. Il y avait les voitures rouges qui filaient comme si elles avaient le feu au cul, les bleues passaient au rouge, tandis que dans les tribunes, un grand brun tripotait le démarreur d’une belle blonde qui était assise à côté de lui. Le premier était passé second et puis j’ai vu un coureur qui s’est fait changer les quatre roues, vérifier le frein de la roue de secours. Un autre s’est fait mettre de la laine dans les coussinets du moteur et des bougies à trois trous ; il s’est fait remplir le réservoir, puis, vu qu’il manquait d’eau, il s’est soulagé dans le radiateur. Enfin, il a dit qu’il en avait marre et il est parti. Dans les tribunes, un homme bien mis s’est pris une baffe pour avoir posé la main sur l’avertisseur d’une nourrice. Puis le second est passé à nouveau premier tandis que le troisième passait second. Ce qui fait que le second ne savait plus où se mettre. Et si le premier qui était devenu quatrième est devenu à nouveau premier, c’est parce qu’à la fin c’est le premier qui a gagné et qui a pris le plus de sous. Ce fut une belle, belle course et je me suis déchiré le pantalon sur les dents de la fourche ».
NB : Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les coureurs gagnent plein de pognon en ayant le cul assis sur les coussins d’une belle auto et que moi qui m’arrache les fesses sur les dents d’une fourche, je suis mal payé et on m’enlève encore les sous des assurances sociales, sur la paye ! Je pense avoir été fidèle à Palhi. Si vous avez besoin, je fais des reportages en tous genres, sur mer, sur terre, en l’air et dans tous les cafés.
[bleu]Henri TOURNIER[/bleu]