FRANCIS PORNON
Dans La Quimèra, son dernier roman publié de son vivant, et dont il voulait faire l’œuvre de sa vie, Jean Boudou met en scène un rouergat, Pèire Vaissièr, devenu esclave eunuque à Alger, roumi en terre musulmane aux temps du Grand Siècle.
Jean Boudou, né à Crespin (Aveyron) en 1920, et le plus emblématique des écrivains occitans, passa ses dernières années comme professeur au Collège agricole de L’Arbatache, à quelques kilomètres d’Alger et y mourut en 1975. Malgré la maladie et une situation familiale difficile, il n’a ni déserté ni abandonné. Poursuivant son travail d’écriture (La Quimèra puis Las Domaisèlas) , il est confronté outremer aux stigmates d’une histoire coloniale qui n’est pas sans rappeler celle de l’Occitanie. Et, au plus fort de la lutte, il passe ses vacances d’été sur le Larzac.
Carnet de voyage suivi d’une postface de Jòrdi Blanc :
Bodon a l’Arbatach (en occitan).
FICHE TECHNIQUE :14 x 21 cm – 128 pages.
Couverture quadrichromie, dos carré cousu collé.
Per ne’n saupre mai : Vent Terral \ Pôle d’activité Val 81 \ F-81340 Valence d’Albigeois
Tél : +33 (0)5 63 56 51 76 – Fax : +33 (0)9 59 10 73 72 \ info@vent-terral.com \ www.vent-terral.com
EXTRAITS CHOISIS
Lundi 18 mai 2009
Passée une glissade sur la longue peau bleu pétrole ridée, voici la terre brûlée au-dessous. L’appareil de la compagnie Aigle Azur va toucher la piste d’Alger. Les passagers affectent de ne pas regarder, certains les yeux clos, la plupart agrippés à leur siège.
Je n’aime pas l’atterrissage. Et, cette fois encore, en ce mois de mai 2009, je n’échappe pas à l’inquiétude. Je ne sais si je me sens bien ou mal. Débarquer en Algérie, c’est quelque chose pour un Français. Et pourtant, c’est un peu comme si je rentrais chez moi. Une fois de plus, la traversée de la Méditerranée m’a semblé d’une brièveté extrême. Un simple « Grand-Fleuve (1) » à passer pour se trouver de l’autre côté.
La porte s’ouvre sur une passerelle balayée de lumière et de chaleur. C’est déjà l’été en Afrique du Nord, et c’est toujours la lumière qui fait cligner des yeux et me contraint à chausser mes lunettes de soleil. Une fois encore, je me retrouve sous le haut ciel de Kateb Yacine, dans le soleil noir de Camus et de tant d’autres auteurs. J’ai en tête ces mots de Boudou :
« Derrière moi, le soleil au zénith. Devant moi, tout le pays s’étend jusqu’à la mer, là-bas, à l’horizon, dans un éblouissement… “ que calelheja (2)”».
1 – Un ancien élève m’avait jadis cité cette expression d’un soldat français pour désigner la mer séparant la France et ses départements d’Algérie.
2 – Dans La Chimère, l’expression occitane de Boudou « que calelheja » signifie : « qui luit comme une lampe », avec éclat dans l’obscurité.
Pòstfàcia :
Bodon a l’Arbatach, ont visquèt sas darrièiras annadas e ont lai moriguèt ? De sos grands jorns, non pas a Clarmont d’Auvernha, mas cap al Sud e « en Barbariá » , n’aviam pas qu’un resson literari a travèrs lo personatge de Pèire Vaissièr, lo romi d’Argièr, l’esclau eunuc de La Quimèra. De La Quimèra qu’escriguèt a l’Arbatach e lo temps de sas vacanças al Vialar del Pas de Jòus, sus Larzac.
E sas qualquas confidéncias a Enric Molin (3).
« Òu ! l’òme, Devètz creire que soi mòrt o que vos ai doblidat. Solament soi partit en Argèria » li fasiá saupre, gaire de temps après son installacion. « Aicí soi dins un collègi d’ensenhament agricòla ; en plena campanha, e praquò dins lo redòl d’Argier. I a un carri que va a Argièr cada ora de 6 a 6 per 2,50 F ».
Après sa primièira annada d’Algèria, dins una letra de l’estiu de 1969, datada de Clarmont, i tòrna, en ne diguent un bocin mai sus las rasons de son exilh e sa malautiá…
3 – Letras de Joan Bodon a Enric Mouly, picadas per Ramon Chatbèrt e estampadas a Vent Terral pel compte de la Societat dels Amics de Joan Bodon, Enèrgas, Valdariás, 1986.