Didier LANTERI, auteur bien connu sur notre site est célèbre dans la vallée de la Roya grâce à de nombreux ouvrages de qualité. On notera parmi ceux-ci le « Dictionnaire Français-Brigasque » (2006 Tac Motifs des Régions), Bergers et Brebis de La Brigue – entre histoire et avenir
en collaboration avec Rina LANTERI (2010 Patrimoine et Traditions brigasques), le Dictionnaire Brigasque-Français (2011 Patrimoine et Traditions brigasques) dernièrement « Antò Piturina » (2012 Patrimoine et Traditions brigasques).
Aujourd’hui, Didier LANTERI, nous livre dans un article, sa » Libre réflexion sur les origines possibles du nom dialectal brigasque de la viorne lantane » qu’il en soit remercié. Nous vous souhaitons une agréable lecture.
Entre toponymie et botanique
Libre réflexion sur les origines possibles du nom dialectal brigasque de
la viorne lantane
Didier Lanteri
Fig. 1 – Viburnum Lantana – cliché Corinne Lanteri – La Brigue, août 2010 – Région de Larzore
Le nom de Tat, quartier brigasque qui se situe en amont de l’Abrigh de Cianesse, au pied de la colline de Scauda-piüyi, intrigue mon ami Raymond.
Il m’en parle chaque fois que nous avons l’occasion de nous voir. Pourquoi ce nom le fascine-t’il plutôt qu’un autre ? Je l’ignore. La toponymie brigasque est pourtant très riche et d’autres termes pourraient aussi l’interpeller, mais c’est sur celui de Tat que Raymond butte et s’arrête. Peut-être parce que Tat en brigasque désigne aussi un arbrisseau très répandu à La Brigue, la viorne lantane (viburnum lantana) dont le nom comporte en français de nombreuses variantes (lantane, mancienne, viorne cotonneuse, viorne flexible, cochène…) sans parler des innombrables variantes régionales.
L’alliance de la botanique et de la toponymie ?
Raymond veut absolument voir dans ce nom une origine prélatine. Car si en médecine nulla est medicina sine lingua latina (Nulle médecine sans latin), en étymologie il semble qu’on attache toujours beaucoup d’importance à trouver une origine prélatine aux termes dialectaux ce qui leur confère étrangement plus de prestige qu’une simple extraction du latin dit populaire ou vulgaire.
Ainsi, plutôt que d’être un sous-produit d’une langue considérée comme étant réservée à une élite, on préfère y être antérieur, car on considère qu’ainsi on aurait résisté au colonisateur.
C’est pourquoi il faut toujours faire preuve de prudence en étymologie car le risque est grand d’affirmer de façon péremptoire des théories toutes plus fausses les unes que les autres.
Le mot de Tat n’est pas réservé à La Brigue. On le trouve aussi en piémontais1 pour désigner le même végétal à côté de formes voisines recensées dans des variantes régionales de cette langue2 (tat, tatu,
tatel, tatil, tàtule, tija, dattu).
Mais l’aire occitane dispose de la même racine : on trouve dans le dictionnaire d’Alibert3 les termes Tacina (viorne), Tassina (Lantana, viburnum Lantana) mais aussi Atat (fruit de la viorne), Atatier (viorne), Atatina (brin de viorne qui sert à faire des liens). Alibert cite deux synonymes, Tassinier et Valinier et se hasarde à donner une étymologie latine à travers le participe passé aptatus du verbe apto, attacher, lier.
On trouve aussi la Tatina dans le poème gavot Benoita4 :
Chasque jourt soun ama la chama…
La veire ! La reveire as Fours !
Mé sous moutouns, à la moutagna,
Couma la pernis mé sa couagna,
Mounta d’un vòu mé sa coumpagna
La Rousseta qu’a fan das tatinas en flours.
Depuis qu’elle a rencontré la Dame
Chaque jour son âme la réclame…
La voir ! la revoir aux Fours !
Avec ses moutons, à la montagne,
Comme la perdrix avec sa couvée,
Elle monte d’un vol avec sa compagne
La Roussette qui a faim des viornes en fleurs.
Mais quel est cet arbrisseau ?
Il s’agit d’un petit arbre à feuilles caduques qui pousse dans les haies, ou à la lisière des bois, en terrain calcaire et riche en humus et qui peut atteindre 3 à 4 m. Ses jeunes pousses, très droites, souples et très résistantes étaient utilisées par les paysans pour faire des liens. Ses feuilles, opposées, caduques, épaisses, ovales, sont très duveteuses. En mai-juin, l’arbre fleurit.
Les fruits sont des baies ovoïdes, vertes au départ, elles deviennent rouges et enfin noires, ces deux couleurs coéxistant. Les baies sont réputées toxiques avant leur maturité. Cet arbrisseau est réputé avoir une mauvaise odeur, ce qui lui a valu des noms évocateurs dans certaines régions : pudis, putt, blanche pute, putainy (où la racine pud/put provient du latin putere,
puer), mais aussi bois de merde5. Sur le site Etymologie occitane6, on apprend qu’au XVI° siècle, Hugues de Solier (Hugo Solerius) botaniste français écrit que la blanche putain est aussi nommée tatine ou encore tatoulier chez les Dauphinois.
Cette odeur nauséabonde est-elle à l’origine du nom de Merda gata7 recensé aussi au piémont ?
Mais pourquoi le mot Gata (chatte) ? Fait curieux, car les tendasques qui ne nomment pas cet arbrisseau comme les brigasques, utilisent aussi le terme Gatun (chaton) or un gatun en botanique désigne une inflorescence en queux de chat, comme sur les saules ou sur les noisetiers mais la viorne
lantane en est dépourvue. L’aspect duveteux des feuilles de cette viorne est-il à l’origine de cette appellation ?
On retrouve le chat à travers le mot Catoleri dans le livre d’heures d’Anne de Bretagne (1503-1508)8 dans lequel Viburnum lantana est nommé Catoleri, probablement un dérivé de catus.
Faut-il voir une origine commune aux racines Tat et Gat ? Le premier dérive-t’il du deuxième ou le deuxième du premier ?
Le dictionnaire étymologique et historique du galloroman (FEW : Französisches Etymologisches Wörterbuch) cité dans l’article sur la Tatine du site de l’étymologie occitane9 voit dans Tatt une racine d’origine pré-romane sans donner davantage de précisions.
Le mot Tatte désigne dans certaines régions françaises et en particulier en Savoie des terres en friche, des landes recouvertes de pierres et de broussailles qu’il fallait brûler pour les rendre labourables et pouvoir les exploiter, se rencontrant surtout sur roches calcaires. Ce mot accepte un
diminutif, Tatterine10. Le mot Teppe lui est associé ; décrit en patois genevois, sa racine étymologique serait Tippa, d’origine prélatine, et qui signifie terrain engazonné.
Le mot Tepa existe en brigasque avec un sens identique de zone herbeuse, gazon ; la tepa da muta étant la partie herbeuse d’une motte de terre11.
Notre Tat brigasque, la Tatine des occitans, la viorne lantane, le Gatun des tendasques pousse effectivement avec abondance sur ces terrains que les franco-provençaux nommaient les tattes, sur les teppes des genevois…
Notre tat reprend possession, aidé en cela des églantines (e pìbure), des pruneliers (i bossu), des cornouilliers sanguins (sanguinöi) des terrasses ou fasce que nous avons progressivement abandonnées et laissées en friche.
Faut-il y voir un lien ? A-t’on donné à cet arbrisseau un nom en rapport avec le terrain sur lequel il pousse volontiers ?
A moins que son nom ne lui ait pas été donné pour la terre sur laquelle il pousse mais en raison de son aspect et en particulier de celui de ses feuilles cotonneuses et duveteuses. Car le mot Tatte connaît une autre acception, celle de touffe de poils comme cela est décrit en haute Savoie12, de la
même façon que le piémontais Tepa peut signifier outre un terrain herbeux, la mousse végétale, la couenne d’un animal, le cuir chevelu, le duvet de l’épiderme. On en revient peut-être ici à l’aspect duveteux des feuilles de la viorne, cet aspect qui a fait peut-être donner à cette plante par les
tendasques le nom de Gatun.
Mon cher Raymond, je suis désolé de ne pouvoir te contredire de façon certaine. Tu as sans doute raison…comme toujours. Ce Tat t’intrigue et la réflexion que j’ai tenté de mener pose plus de questions que ce qu’elle ne permet d’y répondre. Une origine prélatine à ce mot ? J’ai envie de dire
que tous les mots ont une origine prélatine car les latins ne se sont pas mis à parler ex nihilo et du passé n’ont pas fait table rase.
Je te remercie de m’avoir donné l’occasion d’y réfléchir…même si ce fut sans succès.
2 Giamello Giacomo. Dizionario bottanico latino, italiano, piemontese, francese, inglese. Sorì edizioni, Piobesi d’Alba (Cn),
2004:115
3 Alibert Louis. Dictionnaire Occitan Français. Toulouse : IEO Editor, 1997 :700.
4 Waton de Ferry Germaine. Benoita, poème gavot en dialecte provençal de la vallée de l’ubaye. Avignon : Maison
Aubanel Père, 1954 :612
5 Rolland Eugène. Flore populaire ou histoire naturelle des plantes dans leurs rapports avec la linguistique et le folklore,1896-1914. Paris. Réimpression Paris, Maisonneuve et Larose, 1967, 11 tomes en 6 volumes
6 http://www.etymologie-occitane.fr/2013/06/tatine-blanche-putain/
7 Giamello Giacomo. Dizionario bottanico latino, italiano, piemontese, francese, inglese. Sorì edizioni, Piobesi d’Alba (Cn),
2004:115
8 http://uses.plantnet-project.org/fr/Livre_d’heures_d’Anne_de_Bretagne,_identifications
9 http://www.etymologie-occitane.fr/2013/06/tatine-blanche-putain/
10 Philippe-Sirice Bridel, Louis Favrat.Glossaire du patois de la Suisse romande. http://books.google.fr/books?id=2xOQaLU2RAC&
pg=PA365&lpg=PA365&dq=Tatta,+tacta,+s.f,+teppe&source=bl&ots=2MiIHRr_oq&sig=nfldDElUOIsXW2zC7
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%2C%20s.f%2C%20teppe&f=false
11 Lanteri Didier. Dictionnaire brigasque-français. Patrimoine et traditions, La Brigue, 2011 :323
12 http://www.arenthon.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=27&Itemid=39