Amics occitans, la cronica Ribon-Ribanha d’ancuei, titrada « CËBOLE E SAUCISSA… », v’es prepauada da Joan-Pèire AIPERTO sòci de l’IEO 06. Asperam tanben lu vòstres escrichs per li cronicas futuri, que sigon racòntes dau passat ò dau quotidian, articles jornalistics, galejadas, poesias, cançons, scenetas de teatre, bandas dessenhadi…


a l’adreça : ribonribanha@yahoo.fr

« La garderem ribon-ribanha, nòsta rebèla lenga d’Òc ! »

CËBOLE E SAUCISSA…

Èřavam ën Caiřosina d’agost d’ë quařant’e quatr, më n’avisë pëique aviavam rancat ře cëbole d’unvèin còm tuti ři autri ani, dë bòna luna, dë luna velha là… Èřan bèle gròsse, ben stëndue a ë soë n’a canëbeřa për consëivàa-ře ben.

Shu ë crèp dë megë-di a ř’ořa dë gëinàa, cham me pà. Ř’èřa n’ë rëlaigueë sotan ë shamëntava ře choque. Pëi ři ëlhi më campan colà shu řa chanca d’ë gua, e veguë travëishàa n’òm vësti dë veid scuë, ë s’acòsta fía n’ë ř’òit, sensa na pařòla, ma ř’avacha tut.
Cham me mà ën cà. Am vito ëndëvina, në poguia èss qu’un alëmand dë cuèla companhia dë cavalařia afëimàa e strëmàa sot ri ořiveë d’ë camin d’ë Caiřòs. Alořa me mà, fuiba e pënsend fàa ben, ř’i dona dui bèli tomati, doi bèle ënsařate e doi bèle cëbole è, lò për dësbarassàa-së n’ën. Pëi ë tëdesc s’ën va sensa dië. Ò ! Ř’avèss dich quaiqu’ren, qui capía !

– « Qu’ë s’ën vaga ! Quë s’ën vaga puřa ! » diguia me mà.

Me pà ei arruvat, ř’i am dich qu’un soidat èřa vënhut e lòc ř’i aviavam rëgalat. A dië just në së sem pa tròp fach fastidi, nè! Manjavam, ma me pà sëmëlhava pënseë, e d’un crèp ë së drissa:

– « Ale ! Vito ! Vito ! Strëmam ře cëbole, que rëvènon ! Vito piam di saqui !

Baram ře gaïne n’a stala di conilhi ! Vito ! » Ë ř’i èřa shi me fra, e tuti quatr culhem e strëmam ri saqui de cëbole sot ře palhasse; ře gaïne barrai. Me pà në sèřa pa ënganat. N’am pa fënit dë manjàa quë ř’òm vëstit dë veid scuë arruvava ja d’un bòn pass, dërreë, n’autr tëdesc ma cueë dë li, vëstit da soidat con řa mitralheta, pront a tiřàa. Am capit e së fam pàoë. Me pà grand e galhaid qu’ë ř’èřa, së tënhia shu ř’ush dë cà. Ò! ë ř’i ei pòc sta. Un crèp dë mitralheta shu ë stòmëguë, tabusha e arubata me pà. Raiavan a në ren capië, ma am vito capit :

– « Donam ře cëbole ! Donam ř’i tut ! Ei lò que vòn, n’amassan tuti quatr! » raiava shi me mà. Vito am cavat dui, trei, quatr saqui dë sot ře palhasse, e subit, cuili bruti së son carëgai… N’ei quë quand anon stracolat řa chanca que n’am avut gaugë, ma spavëntait, stramoitii tut ë di, tut řa nëch. D’a pàoë m’èřa fía pishat ne brague…

Trei dii së sem strëmait. Auřiavam ben voshu scapàa a Saorgë, ma vëntava montàa shu ë camin dë Caiřòs, e ř’i èřan ëncòë. E na bèla matin, miřacolo, avian spařit. Èřan paitii dë nëch vèish ř’Aution për në pa èss dëscruvii dë di, da ř’avion quë spíava. Ò ! Contenti èřavam.
Vësii dë noi, ma da ř’autr lai dë gua ë r’i èřa Piètrò e Bëitina. Ř’i am cuntat cuèla joinàa dë spavent, ma Piètrò a shi cuntat řa soa è… Mësquin, ř’avia trovat a bařatàa un megë mètr dë saucissa. Alègr, ř’avia fach ë fëiguë dëfòë; ën t’una velha paèla rostia řa saucissa. Ma cuili dui bruti « bòcho », còm diguia Piètrò, quand son passait, m’an raubat paèla e saucissa bèla cuëcha.

È ! sensa rëbifàa-se, pëique èřan capache dë tut ! Piètrò diguia shi qu’ën Fromëgine i maigueë faguian pastuřàa ře bestie strëmait n’i bësqui sensa picoi. Ři alëmai scapavan vèish ř’Aution e sensa proviste raubavan dond passavan n’e campanhe. Fin agost am savut n’e carreře dë Saorgë, quë ři Ameřican avian dësbaicat ën Provença. Que bèla noticia ! Ma ři nëishi fastidi në së son pa afëimait li. Řa valada d’a Ròia èřa sempre sot ř’ocupacion tëdesca.

Sem stait dëportait n’Itàlia ë trètz dichembre d’ë quařant’e quatr, a ři vint’e sèt d’avrilh d’ë quařant’e cinquo, dond ř’i am tant sofèit dë řa fam e d’un frei da can.

Më n’avisë ëncòë…

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Ře cëbole d’ën Caiřosina = Les oignons de Cairosine

OIGNONS ET SAUCISSE…

Nous étions à notre campagne de « Cairosine » au mois d’août 1944, je me souviens car nous avions arraché les oignons, comme chaque année, de « bonne lune », lune décroissante. Ils étaient beaux et gros, bien étendus au soleil sur la chanvrière pour une bonne conservation hivernale.

Sur le coup de midi à l’heure du déjeuner, j’appelle mon père. Il était au grand champ, il dépouillait les vignes des feuilles qui cachaient les grappes du soleil. Mes yeux se portent sur la passerelle de la rivière, et j’aperçois un homme vêtu de vert foncé qui se dirige vers moi jusqu’au jardin, sans un mot, mais il observe tout. J’appelle ma mère qui est dans la maison. Nous devinons vite qu’il s’agit d’un allemand d’une compagnie d’infanterie arrêtée et cachée sous les oliviers bordant la route du Cairos. Alors ma mère, fourbe et croyant bien faire, lui donne deux belles tomates, deux belles salades, et… deux beaux oignons. L’allemand s’en va alors s’en rien dire. Oh! S’il avait dit un mot qui l’aurait compris ?

– « Qu’il s’en aille, qu’il disparaisse ! » dit ma mère.

Mon père arrive, nous lui disons qu’un soldat est venu, et ce qu’on lui a donné. A vrai dire nous ne sommes pas très inquiets. Nous mangeons, mon père cependant semble pensif. Tout à coup il se lève de table:
– « Allez! Vite! Vite! Cachons les oignons, ils reviennent ! Vite prenons des sacs, enfermons les poules dans l’étable des lapins ! ».

Mon frère est là aussi, et tous les quatre nous cueillons les oignons et nous cachons les sacs sous les paillasses. Nous enfermons rapidement, les poules. Mon père ne s’est pas trompé. Nous n’avons pas fini de manger, l’homme vêtu de vert foncé arrive d’un bon pas, suivi d’un autre soldat allemand, la mitraillette braquée sur nous. Surpris, nous avons très peur. Mon père grand gaillard qu’il est, se tient sur la porte d’entrée. Oh ! Il n’y est pas resté longtemps ! Un grand coup de crosse sur le thorax bouscule et le renverse. Ils hurlent à ne rien comprendre, mais nous savons ce qu’ils veulent.
– « Donnons les oignons, donnons leur tout ! Ils vont nous tuer tous les quatre, donnons tout! » criait ma mère en pleurant. Vite nous retirons deux, trois, quatre sacs de dessous les paillasses, et ces deux brutes, bien chargées aussitôt disparaissent. Ce n’est que lorsqu’ils ont franchi la passerelle que nous sommes un peu rassurés, cependant effrayés, la peur au ventre tout le reste de la journée, de la nuit, j’ai même pissé dans mon pantalon.

Nous sommes restés cachés trois jours. Nous aurions bien voulu retourner à Saorge, mais il fallait monter sur la route du « Cairos » et ils étaient encore là. Un beau matin, surprise, ils avaient disparu. Ils s’étaient déplacés de nuit, pour ne pas être repérés de jour par l’avion militaire à la mission de recherche de l’ennemi.

Pierre et Albertine étaient nos seuls voisins de l’autre côté du gué. Nous leur avons raconté notre journée d’épouvante, mais Pierre s’est empressé de nous raconter la sienne eh !…

Le pauvre ! Ayant réussi auparavant à troquer un demi-mètre de saucisse, Il avait fait le feu dehors et heureux, il la faisait rôtir dans une vieille poêle. Mais ces deux sales boches, comme il les qualifiait, quand ils sont passés chez nous ils nous ont volé poêle et saucisse belle et bien cuite. Et nous, sans se rebiffer bien sûr, car ils étaient capables de tout. Pierre disait aussi qu’à « Fromejine » les bergers faisaient paître les bestiaux dans les sous bois sans leurs sonnailles. Les allemands se sauvaient vers le Massif de l’Authion. Par le manque d’approvisionnement ils pillaient alors en traversant les campagnes.

Fin août nous apprenons dans les rues de Saorge que les Américains ont débarqué en Provence. Quelle bonne nouvelle ! Malheureusement nos misères ne se sont pas arrêtées là. La vallée de la Roya était toujours sous l’occupation allemande. Nous avons été déportés en Italie le 13 décembre 1944 au 27 avril 1945, où nous avons tant souffert de faim et d’un froid glacial.

Je n’en souviens encore…

Cairosine et Fromejine = lieus dits dans la vallée du Caïros.
boche, tëdesc = tedesco (ital.) = allemand.
řa canëbeřa = la chanvrière, relatif au chanvre
ři maigueë = les vachers d’altitude, les bergers.

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