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Lettre ouverte au MUCEM

à l’attention des conservateurs

Mesdames, Messieurs,

Marseillaise résidant en Languedoc, mais ayant toujours mon cabanon sur la Côte Bleue, je suis donc avec régularité les expositions marseillaises depuis toujours.

L’ouverture du MUCEM, dont le titre « Musée des Civilisations d’Europe et de
Méditerranée », et particulièrement sa « Galerie de la Méditerranée », ne pouvait donc que m’attirer a priori. Enfin un musée contemporain qui parlerait de ma/notre civilisation méditerranéenne/occitane occupant une bonne part de l’arc méditerranéen nord et héritière directe des Grecs et des Latins. D’autant plus sûrement attirée que la profession de foi du Mucem exprime la volonté «d’appréhender les traits de personnalité singuliers des cultures nées sur le pourtour méditerranéen », laissant augurer une approche scientifique de cette diversité, « tantôt archéologique, tantôt ethnologique, tantôt artistique » (sic).

On ne comprend qu’a posteriori le soin pris de dire à l’avance « sans jamais
prétendre à l’exhaustivité », parade très commode pour s’éviter les critiques, au regard des « absences » plus que criantes qui sautent aux yeux des malheureux « indigènes » qui n’y ont quasiment pas droit de cité.

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J’ai donc visité la fameuse galerie permanente… et en suis ressortie consternée. Car le parti pris évident d’évincer toute trace de la culture occitane, toute trace même de Marseille à Marseille (!), est la donnée constante qui ressort de cette visite.

Ainsi les outils et objets en provenance des pays « d’ailleurs » ont droit en toute légitimité à l’étiquetage scientifique « langue d’origine/traduction française ». Mais pas les rares objets provençaux tous dénommés seulement en français et qui plus est…avec des noms jamais employés localement en français ! En tant qu’ethnobotaniste de terrain, je suis bien placée pour savoir qu’AUCUN paysan n’emploie le mot de « houe », même en français. Il dit exclusivement en francitan « aissade, sape, arpe, magau, bigos, etc », en fonction de la forme, du nombre de dents (tous noms issus de l’occitan arpa/arpo, aissada/eissado, sapa/sapo, magau, bigòs) ou directement en occitan lorsque j’enquête dans cette langue. Or ce sont ces noms-là qui auraient dû figurer scientifiquement en premier, mais pour le Mucem,
« c’est tout de la houe ». Pour un godet de « noria » provençale, aucun paysan ne dit « noria » mais pousaraque/pouseraque (de l’occitan posa-raca/pouso-raco, qui puise et qui recrache). Pareillement pour les cloches exposées, qualifiées platoniquement et indûment de « cloches et sonnailles ». Vous n’avez visiblement jamais rencontré un berger de votre vie. Vous sauriez que CHAQUE « cloche » a un nom spécifique, en fonction de sa forme, de sa grosseur, et de qui la porte.

Seules leurs traductions françaises peuvent s’appeler génériquement « cloches et sonnailles », mais certes pas l’objet d’origine. Nous n’avons droit qu’à une « gargoulette » en conformité avec le nom réel de l’objet exposé.

Le Mucem pratique donc le respect des langues catalane, italienne, arabe, … mais le mépris absolu de la langue d’oc. Faut-il vous rappeler/apprendre que la langue d’oc (ou occitan) est étudiée dans les universités du monde entier ?

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Côté évocation du dieu Taureau, à nouveau oubli/censure du dieu Mithra associé à la Camargue, qui n’a pas droit de cité avec ses élevages de taureaux pourtant ô combien emblématiques, ne serait-ce que par une phrase. Non, pour le Mucem, le taureau est ailleurs, mais pas ici.

Cette démarche est-elle bien ethno-scientifique pour qui prétend « appréhender les traits de personnalité singuliers des cultures nées sur le pourtour méditerranéen » ?

Et je ne parle même pas de la superficialité des textes (il ne suffit pas de se réclamer de Braudel ou de Camus pour en être à la hauteur) et de l’indigence des « œuvres d’art »…

Passée cette première partie, en fonction de votre « tantôt…, tantôt …», j’ai pensé que je trouverai ma/notre culture occitane dans les autres salles… Pas davantage.

Or faut-il vous rappeler qu’en terre française, les héritiers premiers des cultures phares grecques et latines, ce sont les Occitans (comptoirs grecs et latins, puis occupation romaine, donc histoire, langue, droit écrit, forum, démocratie, commerce, amphores, olivier, vigne, etc), non les Francs ? À la citoyenneté donc, au moins une petite allusion aux républiques de Marseille, Arles, Avignon ?

Que nenni, pas évoquées. Aux portraits de Marianne, dire que la première fut occitane et l’ajouter aux portraits ? Toujours non. Aux religions, leurs dégats collatéraux avec le massacre des Vaudois, des Cathares, des Protestants, alors ?

Ah ! non, toujours pas « ce trait de personnalité » de notre histoire tragique qui a marqué les hommes au fer rouge. Car les massacres engendrés par les monothéismes sont soigneusement contournés, pudiquement/pieusement tûs et pourtant « Dieu sait » s’ils ont marqués/marquent encore l’histoire de la Méditerranée. Je passe sur le cube vide censé représenter les athées/agnostiques, qui apprécieront comme il se doit la supposée viduité/transparence de leurs pensées. Alors, forcément me suis-je dit,
ce sera dans la dernière salle, avec les voyages et le commerce ?

Avec Marseille grand port depuis les Grecs, Marseille première ville à avoir été déterminée en latitude par Pythéas, célébrissime Marseillais s’il en est, Marseille porte de départ pour l’Orient et port d’entrée de tant d’épices, tissus, céramiques, Marseille et la Provence célèbres pour ses astronomes, Marseille renommée pour ses cartes et ses instruments de mesure indispensables aux voyages, les astronomes Provençaux Nicolas de Peiresc et Gassendi échangeant avec les savants de toute l’Europe : ici, inévitablement, j’aurais/nous aurions droit à quelques miettes pour faire oublier les vides précédents. Eh ! bien non, même Marseille est ABSENTE, totalement ABSENTE, et chez elle de surcroît. L’excuse toute prête de « la non-exhaustivité » fait bien piètre figure face à ce… révisionisme généralisé, j’ose le mot. Et elle n’abuse que ceux qui veulent bien être abusés (désolée, je n’en fais pas partie, ainsi que de nombreux autres citoyens, pas moins ouverts au monde pour autant).

Marseille et la culture occitane méditerranéenne plus généralement « de Narbonne à Nice » n’ont donc point de place en tant que « traits de personnalité singuliers », quel que soit le côté envisagé « tantôt archéologique, tantôt ethnologique, tantôt religieux, tantôt scientifique, tantôt linguistique, tantôt politique ».

Pour les concepteurs de l’exposition, l’épaisseur, la densité, le poids humain,
historique, culturel, scientifique, n’existent qu’ailleurs, mais pas ici où tout n’est que vide et transparence (comme le cube pour les athées). Les terres occitanes fussent-elles hors la France qu’ils eussent daigné en parler peut-être, tant l’exotisme lointain a, seul, un attrait ? La présence occitane y est réduite à la portion plus que congrue (quatre « houes », quatre « cloches », un godet de « noria » et encore mal étiquetées) qui confine à l’indigence.

Mais ils prétendent sûrement avoir fait « une présentation scientifique ». Pour ma part, en tant qu’actrice de cette culture, en tant qu’ethnobotaniste enquêtant sur le terrain depuis plus de 30 ans, en tant que lexicographe attachée aux faits de langue (quelles qu’elles soient) et à leur restitution objective et rigoureuse (et non d’un côté « les vraies langues » prédéfinies à l’avance par la doxa et qui ont droit au respect et les « sous langues/patois » sans aucun intérêt de l’autre), je la trouve méprisante pour Marseille, la Provence et les terres d’oc en général. Car terriblement faussée,
mensongère, pratiquant ouvertement le rejet, donc totalement anti-scientifique.

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Ses concepteurs nous imposent une vision franco-française d’une culture
technocratiquement formatée à Paris (voire glacée en ce qui concerne les objets populaires) qui passe sans état d’âme de l’histoire officielle française … aux langues et cultures d’ailleurs sur le pourtour méditerranéen (« regardez comme nous sommes ouverts » ), en sautant allègrement par dessus les terres occitanes qui n’existent pas à leurs yeux (constatons combien « vous êtes fermés à double tour à la rive nord française de la Méditerranée»). En contradiction absolue avec le titre même du Mucem et encore plus avec sa profession de foi pétrie de discours de façade, dont l’analyse lexicométrique montre l’absence totale des mots « Languedoc, Provence, Marseille » (un seul adjectif « marseillais » associé au
dessinateur Dominique Papety mais concernant des dessins de villes étrangères).

Or la lexicométrie est toujours très parlante car elle trahit l’idéologie… On y trouve ainsi Gênes, Amalfi, Jérusalem, Athènes, Venise, Valencia, et quasiment tous les pays ou régions du pourtour méditerranéen (et même Allemagne)… mais pas Marseille, Provence ! Pour un musée français installé en terres occitanes, à Marseille, cherchez l’erreur et l’imposture. Ces toponymes et leurs cultures afférentes vous font-ils honte au point de les éradiquer ainsi ?

J’ajoute que cette vision politiquement très orientée, niant les richesses sur place (qui font pourtant aussi la richesse du patrimoine français et pas seulement local, les mettre aussi en valeur semblerait la moindre des choses), incapable de faire des traits d’union/comparaison féconds entre l’ici et l’ailleurs, en diachronie comme en synchronie, en choisissant de ne privilégier/valoriser que l’ailleurs, complète hélas la programmation de « Marseille capitale de la culture 2013» où toute trace de culture occitane a été éradiquée dans les projets acceptés, ou peu s’en manque.

Mais nous avons bénéficié de sublimes plasticailles colorées (élevées au rang
d’oeuvres d’art) émaillant les trottoirs de Marseille (du même type que celles qui décorent les magasins et bars branchés), de copies de Dali, d’un texte lissé diffusé au Fort Saint-Jean où l’on raconte l’histoire française de Marseille avec un bel accent d’aéroport, et en guise de couleur locale « poudre aux yeux », de pauvres brebis lâchées sur la Corniche (on va voir l’amontagnage là où il passe naturellement, culturellement, on ne le déplace pas sur un lieu où il n’a jamais passé !). Cela fait vraiment sens… Tandis que le buste de l’écrivain marseillais Victor Gelu (pourtant pas bien encombrant) a été éradiqué du plan de rénovation du Vieux Port. Bref, tout cela en dit fort long sur le formatage des esprits, comme s’il y avait le même chef d’orchestre régentant tous ces projets, au Mucem et à la ville (et à tous les autres échelons institutionnels hélas…), imposant sa vision si « vertueusement ouverte sur l’ailleurs » mais si « insolemment fermée à l’ici », tant s’affiche partout la volonté délibérée de nier notre culture et notre langue en domaine public. De nombreux Marseillais et Provençaux, et plus généralement Occitans venus exprès visiter le Mucem parfois de loin, ont été choqués par cette censure/mépris de « leurs traits de personnalité », ainsi jetés à leur figure et dans leurs propres terres de surcroît.

Claude Hagège parle à ce sujet « d’élites vassalisées ». Si ce n’est pas un
comportement colonialiste en terres d’oc, cela lui ressemble fort…

J’en suis personnellement bien plus que choquée. Nous faudra-t-il aller dans un musée catalan ou italien ou libanais consacrée à la Méditerranée, pour voir enfin « appréhender dignement/scientifiquement/linguistiquement les traits de personnalité singuliers » de notre culture et voir évoquer Marseille et la Provence et le Languedoc autrement que par quatre « houes » (comme ailleurs par une jupe folklorique ou la nième publication d’un « sociolinguiste » sur « Le parler imagé de Marseille ») ? Comment peut-on prétendre faire une muséographie scientifique, donc respectueuse des civilisations, alors que c’est le parti pris idéologique qui préside ici de façon criante ?
Soit par censure délibérée, soit par absence de curiosité élémentaire, ce qui est tout aussi grave. Je sais/nous savons déjà à l’avance la réponse à ces critiques car nous y sommes habitués : « non, vraiment, il n’y a aucune volonté de censure, aucun mépris ; objectivement, ici, il n’y a rien
« d’universel » qui soit digne d’être évoqué au Mucem eu égard aux choses/histoire/pensées si géniales de l’ailleurs, à part quatre « houes » et trois « cloches » pour faire plaisir à votre « localisme », mais dont on se moque éperdument de savoir leurs vrais noms dans votre « patois ». Et Marseille n’a toujours été qu’un petit port de pêche dans l’histoire de la Méditerranée, tellement petit qu’une seule sardine l’a bouché, c’est bien connu, ce qui explique son absence dans la galerie permanente, en toute objectivité scientifique, vraiment ». Même si je me doute que mon avis vous importe fort peu, en tant que citoyenne occitano-française finançant le Mucem par ses impôts, en tant qu’ethnobotaniste et lexicographe respectueuse des cultures, des langues et des hommes, je tenais à
vous exprimer ma colère face à cette vision des faits méditerranéens selon votre prisme déformant, qui n’a même pas la décence – à défaut de la conviction – de valoriser un tant soit peu la ville et la région d’accueil du musée.

Recebètz mei salutacions amaras (c’est du « patois »).

(copie à des citoyens occitans, Marseillais entre autres, avec autorisation de
diffusion à qui bon leur semble, et publiée sur mon site)

Josiana Ubaud

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