Jean-Marie LAMBLARD nos a fach l’amistat de nen mandar aquesta letra coma present per Calenas. L’aremerciam per aquò e vos convidam a retrovar li sieu letras sus lo site sieu. Bòna lectura !
LETTRES DE NOTRE ARCHIPEL
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À Joan-Pèire, à tous les amis :
TROIS FEUX POUR UN SOLSTICE
I – Le Sauvageon. II – Alexandrie. III – La bûche de Noël.
I – LE SAUVAGEON
Marius, le plus jeune garçon de la famille des bouscatiers passait toute l’année ou presque dans les bois entre Avignon et Nîmes. C’était là que vivait sa tribu de pères en fils pour exercer le métier, lequel consistait à abattre, ébrancher, fagoter les chênes-verts de la garrigue, les écorcer, préparer le charbon et distiller l’huile de cade.
Les frères aînés bûcheronnaient, les filles serraient le petit-bois en fagots, et Marius entretenait le foyer des charbonnières et l’alambic.
Enfant, il n’aura joué qu’avec le feu. Autant avouer qu’il ignora l’école et le catéchisme. Le charbonnier n’eut pas la foi. Mais il fut à sa manière un homme de science. Et de toute façon, il était mon grand-père.
Marius quittera la garrigue pour paître les moutons dans la Crau, et plus tard il bâtira un four de boulanger où il retrouvera l’art du feu au service des familles.
Mon grand-père était un maître. Il n’avait pas son pareil pour cuire le charbon et bouillir la poix.
Il était de ces hommes que les anciens princes en deuil appelaient auprès d’eux pour bâtir le bûcher d’un guerrier mort au combat. Conducteur des feux et maître des essences, il aurait su amener jusqu’à la crémation le corps martyrisé d’un Patrocle pour que ses os restassent entiers et blancs afin qu’on pût les conserver dans le suif et les aromates.
Construire une meule, aménager le fourneau, chauffer les branches à l’étouffée jusqu’à la carbonisation relève d’une science sacrée. Le bois exactement cuit devient au sortir de la charbonnière la matière inaltérable et l’élément noble que rien ne peut décomposer ni détruire, sauf le feu dont il est l’aliment et la graine.
Le sauvageon est mort sans savoir lire ni écrire, et il parlait mieux patois que français. Pourtant c’est à lui que je pense d’abord lorsque je commence une page ; à lui et à son fils Émile, le petit boulanger du village, mon père.
Que leur destin fut étrange, venus du monde noir des charbonnières, ils atterrirent dans la blanche farine d’un fournil, où ils nous firent naître mon frère et moi.
Ce raccourci pour dire qu’allumer des feux de guet est facile, les entretenir demande un savoir-faire plus compliqué. Nourrir la flamme est tout un art où je m’exerce en éternel écolier.
Les ancêtres appartiennent à l’avenir et non au passé ; le temps cyclique de l’éternel retour nous l’indique.
Un feu brille dans le soir, une mince colonne de fumée monte et rejoint le ciel, un appel, un signal, c’est un phare…
II – LE PHARE EXEMPLAIRE
Mosaïque de Libye. Qasr el-Libia, pavement paléochrétien daté de 539, montrant une des rares représentations du Phare d’Alexandrie, et portant à son sommet la statue d’Hélios. On ne dispose pas de certitudes sur la forme du Phare. S’agit-il ici d’un symbole du Christ guidant les fidèles vers l’Église ? (Photo Lamblard)
Au large d’Alexandrie, il y a des récifs, quelques écueils mais point d’archipel. Sur le plus grand îlot, celui qu’on appelait Pharos, Ptolémée II Philadelphe fit construire une tour à feu pour signaler l’entrée de la rade aux navigateurs et marquer d’un somptueux monument la nouvelle capitale de l’Egypte hellénisée.
Des tours portant des feux de guet pour baliser les côtes, rassurer les navigateurs, lancer des messages, surveiller les abords, se voyaient déjà en Méditerranée. La tour d’Alexandrie, dit-on, les dépassa toutes par sa splendeur.
Depuis l’Âge du Bronze, les navigateurs antiques parcouraient la Méditerranée sans trop s’éloigner des côtes. À la mauvaise saison, le marin et son gouvernail restaient au sec. Les jours de mauvais temps et les nuits sans lune, on tirait la barque sur l’arènier. La navigation à l’estime nécessitait de se repérer sur la terre le jour, et sur les astres la nuit. Dans les Cyclades, certaines cités élevaient des tours sur les hauteurs de la rive pour êtres vues de loin, et allumaient des feux de guet.
Ce n’est pas tant la mer qui est fatale aux caboteurs, mais bien la terre et ses roches, la terre basse sans repères, les écueils, les rivages plats sans amers, les hauts-fonds sableux.
Le portulan est prioritairement la liste des mouillages et des singularités de la côte qui les distinguent, précieuse liste conservée dans la mémoire du timonier.
Puis un jour, les progrès de la construction navale, les armes de fer dont disposèrent les navigateurs, encouragèrent les Grecs vers la navigation hauturière ; ils filèrent tout droit pour atteindre les côtes lointaines et l’Afrique.
Rhodes, île carrefour, État indépendant, était un point de départ pour embarquer vers le delta du Nil. Quatre jours et trois nuits, par beau temps. Le pilote se guidait sur le soleil et les astres, sur la Grande Ourse notamment, sur les odeurs venues de la terre, les bruits des récifs, il observait le vol des oiseaux, la couleur des eaux.
Hélios, le Colosse de Rhodes, la merveille du monde.
Ce ne sera qu’au deuxième siècle avant notre ère qu’Hipparque établira à Rhodes les premières éphémérides nautiques et la carte des étoiles utiles aux marins. Rhodes où passait le parallèle fondamental de la carte du monde habité. Rhodes où s’élevait le célèbre « Colosse », cette merveille sculptée par Charès de Lindos, au début du IIIe siècle avant notre ère, gigantesque statue d’Hélios.
Lorsque Ptolémée devint Pharaon, il ne voulut pas moins d’une nouvelle merveille pour indiquer la passe du port d’Alexandrie à sa flotte de guerre d’abord, aux caboteurs ensuite. L’île où il fit élever le monument s’appelait Pharos d’après les Grecs. Elle donna son nom à la tour de pierre blanche bâtie selon une architecture d’obélisque par Sostrate de Cnide. La tour portait un feu à plus de 120 m de hauteur, visible à 50 km, a-t-on prétendu. Le Colosse du port des Rhodiens avait désormais le Phare des Ptolémée pour rival.
Le mystérieux combustible du Phare.
Du haut de sa tour, et sur son îlot battu de tous côtés par les flots, le Phare aurait brûlé pendant un millénaire et quelques siècles. Quel était le combustible que les Alexandrins utilisaient pour que le fanal s’aperçoive à cinquante kilomètres au large? Du charbon de bois, plus des fagots ? L’Égypte n’est pas un pays de forêts, le bois est rare au désert. Une batterie de lampes à huile de ricin, ou d’olive, et tout un jeu de miroirs à la mode d’Archimède? Hérodote mentionne l’utilisation de l’huile de ricin pour l’éclairage (Enquête sur l’Égypte II-94). Et pourquoi pas du bitume ou de l’asphalte de Judée ? À moins qu’on ait entretenu les flammes avec les archives de l’administration…
Les Chrétiens prétendirent que le calife Omar, après la victoire des armées islamiques, aurait chauffé les quatre mille établissements de bain de la ville pendant un mois avec les archives ptolémaïques ; le Phare n’avait donc pas consommé tous les papyrus. L’énigme demeure. Étant exclu, bien entendu, d’expliquer par leur combustion au sommet du Phare la rareté des momies conservées à Alexandrie même ; quoique…
Un cartulaire occitan a gardé souvenir d’un séisme.
Il y a beaucoup de mystère autour du phare d’Alexandrie, la légende s’est emparée du monument. Mais les historiens sont de même avis sur sa destruction finale : ce serait un séisme qui lui aurait donné le coup de grâce le 8 août 1303.
Nous le savons grâce au « Petit Thalamus de Montpellier », un cartulaire écrit en roman du Midi (c’est-à-dire en occitan du XIIIe siècle), où l’on peut lire : « …en l’an 1303 le 8 août il y eut un grand tremblement de terre à Alexandrie qui fit tomber le Phare et bien le tiers de la ville. » (…Fut gran terra tremul en alixandra trobet lo farre e ben lo ters de la vila…) Thalamus Parvus. Chronique romane des XIII/XVIIe siècles. (Publiée en 1836).
III – LA BÛCHE DE NOËL
La tradition d’allumer des feux aux solstices s’est naturellement perdue. On se souvient parfois des feux de la Saint-Jean où se brûlaient les résidus des chènevières. Et demeure au temps de Noël le souvenir de la bûche qui n’est plus qu’une pâtisserie glacée mangée après les huîtres et la dinde.
Le solstice d’hiver, la grande porte de l’année, le basculement du temps cyclique, ce moment solennel où la vieille année passe le flambeau au nouvel an, était marqué par un feu de joie. Les Latins honoraient un dieu très ancien, Janus au double visage, qui gardait le franchissement des solstices. Nous en avons conservé le nom dans notre Janvier. Ainsi que dans le nom des deux Saint-Jean, le 24 juin et le 27 décembre.
Janus, maître du triple-temps : un visage regarde le passé, un second pour observer l’avenir ; le troisième, invisible et insaisissable, celui du présent…
Mais revenons à nos traditions calendales.
En Provence, la tradition de la bûche, déjà folklorisée au XIXe siècle, si nous en croyons Frédéric Mistral expert en la matière, portait le nom de « cacho-fioc », et la bûche précisément s’appelait « calignéou ».
« Pausa cacho-fioc », déposer la bûche de Noël dans le foyer la veille de Noël, est une mention que l’on rencontre dans toutes les évocations du rituel provençal. <
Nicolas Saboly, auteurs des célèbres Noëls du XVIIe siècle, écrivait « cachafio »
De quoi s’agissait-il ?
Cacho-fioc se traduit littéralement par « écrase-feu », ce qui n’explique rien et dénonce plutôt une corruption du terme primitif.
En vérité, c’est « gach-fuoc » qu’il fallait entendre. C’est-à-dire « feu de guet », tout simplement.
Le feu de la Saint-Jean de l’été était un feu de joie populaire de plein air où se rassemblait la communauté dans son ensemble au temps des épousailles, « lo gach de Sant Johan » en langage occitan.
Le feu solsticial d’hiver, lui, brûlait dans l’espace domestique et concernait la famille et la maisonnée. Alors, le plus ancien de la lignée posait dans le foyer la bûche, en adressant aux Invisibles les paroles de transmission pour que le dernier-né les reçoive à son tour. C’était le « gacha fuoc des vigiles de calendes » où s’invoquaient la fertilité des couples et le croît des troupeaux.
Ainsi se perpétuaient les familles, pour le meilleur et pour le pire.
À quelques jours de Noël, j’ai plaisir à vous adresser ces trois feux de guet pour un solstice d’hiver, et replacer dans la grande et immémoriale chaîne de la tradition des hommes ce rituel sacré lié à la succession des cycles solaires.
Les ancêtres appartiennent à l’avenir et non au passé.
Et l’an prochain, si vous le souhaitez, lorsque la bûche sera entièrement consumée, nous reprendrons ce nom provençal de « calignéou » qu’on lui donnait…
Oui ?…
À vous lire.
JML.
Et toujours sur son site :
Lettres de notre Archipel
Jean-Marie LAMBLARD
–jmlamblard@wanadoo.fr
–http://www.lamblard.com