Depuis quelques semaines, le « Collectif Prouvènço », ainsi que l’ « Unioun Prouvençalo » se déchaînent dans les médias. Que sont ces organismes, que veulent-ils, et pourquoi une telle offensive précisément maintenant ?


Donnons-leur tout d’abord la parole, par copier-coller, en voyant comment ils se définissent sur leurs sites Internet.

« Le collectif Prouvènço pour la langue et la cultures provençales a été constitué lors de la réunion de Lançon-de-Provence, le 26 mars 2000, qui a réuni quelque 300 Provençaux. A ce jour, il a déjà recueilli quelque 6000 adhésions.

Il s’est donné pour buts de : défendre la langue et la culture provençales, ainsi que la graphie mistralienne ; lutter afin d’obtenir, par une loi, la reconnaissance du provençal comme langue régionale de la République française ; empêcher de voir effacer le nom de la Provence et son identité au profit d’une Occitanie mythique.

Pour le collectif Prouvènço, le provençal fait partie de la famille des langues d’Oc et il n’a pas à être noyé dans une langue unique, normalisée et standardisée, qui n’a jamais été parlée en Provence. »

Je relèverai pour l’instant deux points essentiels :

– Ils veulent « empêcher de voir effacer le nom de la Provence et son identité au profit d’une Occitanie mythique » « et il (le provençal) n’a pas à être noyé dans une langue unique, normalisée et standardisée, qui n’a jamais été parlée en Provence. »

– Tout en se réclamant de la graphie mistralienne, ils parlent « des langues d’Oc » au pluriel.

La page de L’Unioun Prouvençalo étant beaucoup plus longue, j’en retiendrai simplement la première phrase, qui en dit du reste déjà assez :

« L’Unioun Prouvençalo, groupement régionaliste de 85 associations culturelles, a été créé en 1981 afin d’être un acteur de la reconnaissance des langues et des cultures provençales et niçoises dans le cadre de la famille d’Oc. C’est un mouvement d’inspiration mistralienne. »

On remarquera que, eux, c’est au sein même de la Provence qu’ils utilisent le pluriel, parlant « des langues et des cultures provençales et niçoises », et se définissent « comme un mouvement d’inspiration mistralienne ».

Les deux mouvements font donc référence à Mistral, le premier par sa graphie, le second par son inspiration.

Une remarque préalable : le mouvement créé par Mistral en 1854 existe toujours. Il s’appelle le Félibrige et, sauf à vouloir être plus royaliste que le roi, ou poursuivre en réalité quelque autre dessein, on ne saurait trouver ailleurs de meilleur défenseur de la graphie et de l’inspiration mistraliennes…

UN PEU D’HISTOIRE

Pour y voir plus clair, un bref rappel historique sera nécessaire.

Le régionalisme (mot créé par le Forcalquiéren Léon de Berluc-Pérussis) méridional se partage depuis déjà longtemps entre deux grands mouvements, le Félibrige et l’occitanisme. Les racines de ce derniers sont aussi anciennes, voire sur certains points antérieures au Félibrige, mais on en retiendra surtout sa dernière mise en forme moderne : l’Institut d’Estudis Occitans (IEO), créé à la Libération.

Historiquement, on peut dire, sans trop caricaturer, que le Félibrige représente le pôle « conservateur », l’IEO et sa mouvance, plus souvent qualifiée d’occitanisme, le pôle « progressiste ».

Toutefois, l’essentiel de leur opposition publique a porté sur la question de l’orthographe. Lors de la Renaissance d’oc du XIXe siècle (qui ne se résume pas, loin s’en faut, à l’histoire du Félibrige) la question s’est très vite posée. Elle n’existait pas au Moyen Age, où l’ensemble de la langue d’oc suivait les mêmes principes orthographiques, dont témoignent partout (et plus richement encore en Provence que dans n’importe quel autre pays d’oc) les archives de nos villes et villages.

Mais après l’imposition du français comme langue officielle (1539), on s’est mis, plus ou moins vite selon les endroits, à écrire la langue d’oc à la française.

Deux tendances vont d’abord se faire jour dès l’aube de notre « Renaissance » : la première, « patoisante », très générale au début du XIXe partout en pays d’oc, consistant à écrire la langue de façon phonétique à la française.

La seconde, initiée par l’œuvre de deux Bas-Alpins : le docteur Honnorat, d’Allos, et le Manosquin Damase Arbaud, préconisant, (le premier dans son Dictionnaire provençal-français, Digne, 1846, le second dans ses Chants populaires de la Provence , Aix, 1862 et 1864) le retour à l’orthographe d’oc traditionnelle, que les érudits qu’ils sont connaissent bien et savent lire.

Mistral va se retrouver devoir choisir entre ces deux options, ou plutôt entre la seconde (il achète et utilise tout de suite le dictionnaire d’Honnorat) et une variante de la première : un compromis, élaboré par son maître et ami Roumanille, entre les deux systèmes, avec toutefois une nette prédominance des notations à la française.

C’est un système plus proche de la seconde que de la première que choisira Mistral, à la grande fureur de Roumanille qui, après de vifs échanges épistolaires, finira par lui imposer son propre système pour le premier grand poème mistralien, Mirèio, dont il est l’éditeur… Et voilà comment cette orthographe, dont Mistral disait en 1852 : « C’est se moquer de toutes les règles : c’est vouloir transformer notre belle langue en affreux patois… » devint la « graphie mistralienne »… Ce qui ne l’empêcha pas de le regretter longtemps : il écrivait encore en 1874 : « Il faut expulser hardiment tous les gallicismes, et appliquer à nos dialectes modernes le système orthographique des troubadours du XIIIe siècle. »

Une des principales caractéristiques du système de Roumanille est la suppression de toutes les consonnes finales (ce qui faisait écrire au Mistral de 1852 : « je vous le demande, quelle est la langue qui n’a ni singulier, ni pluriel et qui peut établir de telles équivoques : ama – aimer, ama – aimé, ama vous aimez. ». Si un tel système n’est pas trop gênant pour les parlers rhodaniens, où ces consonnes ne se prononcent guère que dans les liaisons, et dès lors qu’on accentue à la lecture les mots terminés par une voyelle sur la dernière syllabe (à la française), il devient vite problématique dès qu’on s’éloigne de cette zone, les autres parlers d’oc articulant le plus généralement, peu ou prou, ces consonnes.

Voilà pourquoi ce système ne fut jamais suivi à la lettre par les autres dialectes d’oc, et que dès que les principes formulés par Honnorat seront remis en vigueur (par la Grammaire Limousine de Joseph Roux en 1895, puis par l’Escola Occitana à partir de 1919), de plus en plus d’« Écoles » félibréennes se rallièrent à ces principes, qui reçurent un ultime polissage avec la Gramatica occitana de Louis Alibert en 1935. Le problème orthographique finit donc par devenir essentiellement provençal.

LA SITUATION ACTUELLE

Toutefois l’orthographe n’est pas tout, et une graphie n’est jamais qu’une question de conventions. De plus, dans les denières décennies du XXe siècle, l’avènement de l’audio-visuel relativisa le problème, et les espaces de rencontres pacifiques entre Félibres et occitanistes se multiplièrent. Le premier, et le plus important, fut et demeure l’émission Vaquí, Puis vinrent, entre autres, l’Ostau de Provença/Oustau de Prouvenço aixois, ou toutes les revues et publications accueillant les deux graphies. Un exemple bas-alpin typique en est fourni par la politique du Conseil général 04 d’initiation à la langue et à la culture provençales (dont le budget est voté chaque année, depuis sa création en 1999, à l’unanimité de cette assemblée), et qui mobilise côte à côte, sans la moindre tension, Félibres et occitanistes.

Sous le capouliérat de Pierre Fabre, ce rapprochement s’intensifia, les prises de position communes se multiplièrent, et l’on vit de plus en plus de militants adhérer aux deux mouvements à la fois.

Avec le nouveau capoulier, Jacques Mouttet, et le nouveau syndic de la Maintenance de Provence, Michel Benedetto, et surtout face à la menace croissante d’une disparition pure et simple de la langue d’oc, dont les derniers usagers naturels prennent chaque jour davantage le chemin du cimetière, tandis que la France s’obstine, seule en Europe avec la Grèce , à refuser l’application de la charte européenne de défense des langues minoritaires, un pas supplémentaire vient d’être franchi : l’appel à une grande manifestation commune en faveur de la langue d’oc, à Béziers le 17 mars prochain, cosigné notamment par l’IEO et le Félibrige.

Car s’il est un point sur lequel il n’y a jamais eu la moindre divergence entre Félibrige et occitanisme, c’est bien celui de l’unité de la langue d’oc, par-delà la richesse de ses dialectes et de toutes leurs variétés.

En citer les preuves proclamées par Mistral reviendrait à recopier une bonne partie de l’œuvre du maître de Maillane, qui a passé sa vie à l’affirmer.

Quelques rappels de formules siennes bien connues : sa définition de l’espace de notre langue, par exemple : « Dis Aups i Pirenèus » (« Des Alpes aux Pyrénées »).

Ou ses vers de l’Espouscado : « Eh ! bèn, nàni ! despièi Aubagno, / Jusqu’au Velai, jusqu’au Medò, / La gardaren riboun-ribagno, / Nosto rebello lengo d’O ! » (TDA : « Eh bien ! nenni ! depuis Aubagne – jusqu’au Velay, jusqu’au Médoc, – nous la garderons, qui qu’en grogne, – notre rebelle langue d’oc. »)

Ou le titre de son dictionnaire « Lou tresor dóu Felibrige / ou dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne. » Où sont représentés tous nos parlers, de la Gascogne à la Provence et du Limousin au Languedoc.

Ou ce début de La Respelido , qui se passe de traduction : « Nautre, en plen jour / Voulèn parla toujour / la lengo dóu Miejour, / Vaqui lou Felibrige ! »

C’est donc faire une simple constatation que de dire que ceux qui, prétendant se réclamer de Mistral, parlent des langues d’Oc au pluriel sont des menteurs et de farouches anti-mistraliens.

Mais ils ont un autre dada : « empêcher de voir effacer le nom de la Provence et son identité au profit d’une Occitanie mythique. Pour le collectif Prouvènço, le provençal fait partie de la famille des langues d’Oc et il n’a pas à être noyé dans une langue unique, normalisée et standardisée, qui n’a jamais été parlée en Provence. »

Et, pour l’« Unioun Prouvençalo » une lutte contre « une branche du mouvement occitan qui voudrait faire du languedocien la langue unique des pays d’oc ».

De même que j’ai donné, dans leur propre texte, la position de ces deux associations, je laisserai maintenant la parole aux occitanistes, en me contentant de citer ce que disent, depuis toujours, de cette question les occitanistes provençaux, les premiers concernés évidemment.

J’en prendrai une des formulations les plus récentes, dans la préface de leur « Manuel pratique de provençal contemporain » (Édisud, 2000) : « Chacune des formes de la langue la représente toute entière, comme chaque individu, tout en étant unique, comporte tous les caractères fondamentaux de son espèce. (…) Les multiples variétés d’une même langue constituent sa véritable richesse, tout comme la diversité des langues humaines préserve l’originalité des pensées et des expressions. »

Peut-on être plus clair ?

J’ajouterai que ce manuel – qui donne bien entendu, en les plaçant sur un pied d’égalité, toutes les variantes dialectales du provençal – tout en préconisant évidemment la graphie occitane, enseigne également les principes de la graphie félibréenne (l’ouverture Félibrige-occitanisme est réciproque).

Quiconque prétend que la position occitaniste en ce domaine est différente, et à plus forte raison opposée, est donc un menteur.

J’en reviens donc à ma question initiale : que veulent ces gens-là, et pourquoi une telle offensive précisément maintenant ?

Les éléments que je viens de donner laissent sans doute déjà deviner la réponse.

Face à l’évolution actuelle du Félibrige, preuve de sa vitalité et de son réalisme, une infime fraction issue de ce mouvement a adopté une attitude de repli schismatique et sectaire. Ses méthodes et son activisme sont ceux de toutes les sectes.

On tient un discours qui peut passer pour une simple proclamation de défense du provençal, où il faut être bien averti des choses d’oc pour déceler l’imposture, et que vont reprendre ou signer, en toute bonne foi, ceux à qui il sera soumis. (Ainsi procède, par exemple, la secte Moon quand elle attire des adeptes au nom de l’unification du christianisme mondial…)

On se sert ensuite des signatures recueillies de cette façon, et notamment celles de personnalités qu’on recherchera en premier afin d’en entraîner d’autres, pour se prévaloir d’une représentativité qu’on ne possède nullement, et conduire des actions auxquelles ne souscriraient certainement pas l’immense majorité des signataires abusés de la sorte.

C’est ainsi qu’on va utiliser ces « soutiens », extorqués par le mensonge et la rouerie, dans un but parfaitement antithétique : en l’occurrence tenter de saboter les actions communes du Félibrige et de l’occitanisme. Dans le cas présent la manifestation unitaire du 17 mars à Béziers.

Sur ce dernier point, le « collectif Prouvenço » a depuis longtemps tombé le masque, appelant le même jour à Arles à une contre-manifestation. Tous ceux qui s’y rendront en croyant défendre le provençal seront ainsi comptabilisés comme des opposants tant au Félibrige qu’à l’occitanisme, et surtout à leurs actions communes. Si l’on voit mal ce que ces groupuscules gagneront à cette opération, si ce n’est de persévérer dans leur (mal)être, on voit bien par contre ce que la défense de la langue d’oc y perdra. Cela à l’heure où les derniers usagers naturels de nos parlers prennent chaque jour le chemin du cimetière, tandis que que la France persiste à refuser l’application de la charte européenne de protection des langues minoritaires. Alors que seule l’union de tous ceux qui sont attachés à cette langue ne serait pas de trop pour essayer de peser de quelque poids contre l’archaïsme jacobin.

Mais que leur importe ? Il est clair à la lecture de leurs textes que c’est là le cadet de leur souci. Ce qui pour eux compte avant tout, c’est la lutte contre le « danger occitan ». De la même façon que, pour tous les terrorismes minoritaires, le pire ennemi n’est pas la puissance oppressive, mais celui qui cherche à se libérer de son emprise en ayant recours au dialogue et à l’ouverture dans l’union, pacifique même si militante, de tous ceux qui veulent se dégager de son étreinte. Les membres du « collectif Prouvenço » n’en sont évidemment pas à envisager d’envoyer à Béziers des gardians kamikazes avec des bombes cachées sous leurs feutres : leur décision « d’appeler le peuple de Provence à se rebeller » « pour garder son âme » et « résister à cette colonisation rampante » occitane ne va certes pas jusque là… Mais quand on perçoit la haine lancinante qui sourd à chaque instant de leurs propos, on se demande s’ils ne rêvent pas parfois, pour défendre le folklore suranné auquel ils ramènent la culture provençale, de transpercer le cœur des « Occitans » de leurs ficheirouns, ou de les pendre au clocher de Saint-Trophime au moyen de rubans d’arlésiennes noués l’un à l’autre…

Je dois vous avouer que si des visions aussi baroques me viennent à l’esprit, c’est qu’on rigole parfois franchement avec leur littérature. Ainsi dans ce tract intitulé « Mèfi ! n° 2 » :

« Soit nous agissons ensembles et unis en faveur de notre langue et de notre identité en faisant de la manifestation d’Arles un franc succès qui ouvrira à la Provence une ère nouvelle pour le développement de sa culture soit nous écoutons ceux qui au nom d’une utopie occitane demandent aux provençaux (sic) de renier leur langue, leur graphie, leur culture, leurs traditions,leurs costumes, tout simplement leurs différences au bénéfice d’un modèle culturel artificiel et uniformisé pour tout le midi de la France. »

Ainsi donc, ces bougres d’Occitans, non contents de vouloir imposer aux Provençaux de parler languedocien (c’est là la formule accusatrice la plus courante assénée tant par les « Unionistes » que les « Collectivistes »), veulent en plus unifier la tradition ainsi que les costumes ! Vont-ils alors nous obliger à remplacer l’ailloli par le cassoulet ? Et le ruban d’Arles par le capulet du Béarn ? Mais tout cela serait encore du particularisme… Or ce qu’ils veulent, ces monstres d’Occitans, c’est l’uniformisation totale. Alors sans doute vont-ils contraindre tous les Méridionaux à mélanger ailloli et cassoulet dans quelque grand tian, sans oublier d’y ajouter un aligot et une garbure, bien mélanger, et mettre le tout au four pour le faire gratiner… Et à ajouter au capulet béarnais, par-dessus toutes les coiffes, robes et tabliers des pays d’oc, le ruban arlésien au sommet ! De quoi faire crever de jalousie Jean-Paul Gaultier, Karl Lagerfelfd et John Galliano réunis, sans parler évidemment de ce pauvre Christian Lacroix (contraint bien entendu entre temps de modifier son patronyme en Lacroix-de-Toulouse !…)

Quant à l’Unioun Prouvençalo, si ses positions sont pratiquement identiques à elles du « collectif Prouvenço », après avoir exprimé sa nette préférence pour la contre-manifestation d’Arles, elle a fini par déclarer laisser libre ses membres d’aller où ils voudraient…

***

Je rappellerai enfin que l’ensemble Félibrige-occitanisme, et leurs mouvances respectives, rassemblent la quasi-totalité de ceux qui oeuvrent pour la défense de la langue d’oc, dans toute sa variété. Et pas seulement pour l’organisation de manifestations folkloriques.

« Me dison Prouvènço »

Ces lignes étaient écrites lorqu’une amie est venue me voir, avec les deux derniers numéros de la revue du « collectif Prouvenço » : « Me dison Prouvenço ». Elle avait acheté le premier par curiosité, et reçu le second au titre d’un « abonnement » qu’elle n’avait jamais demandé, après que cette association ait trouvé son nom sur quelque listing. Elle se demandait d’ailleurs si, désormais, elle n’allait pas être comptabilisée parmi les membres de cette association, vu qu’elle en recevait la revue en tant qu’abonnée… Je m’attendais au pire, mais le contenu de cette revue est au-delà de ce que je parvenais à imaginer.

Dans le numéro 15, je tombe tout d’abord, un peu surpris, sur une phrase à laquelle je souscris entièrement : « nous luttons pour la défense de la langue provençale dans toutes ses variétés dialectales. » Je feuillette alors rapidement le numéro, et constate qu’il n’y a là que du strict rhodanien. Ignorant l’origine des auteurs de ces articles, je les imagine simplement tous natifs de cette partie de la Provence. Je feuillette alors le numéro 16, le dernier, en me disant qu’il doit tout de même bien y avoir dans cette association qui se targue de tant de membres quelque exotique non-rhodanien…

Et en effet, je tombe bientôt sur deux courriers en provençal de lecteurs extérieurs à cette zone : ceux d’un certain Joël, Varois de Saint-Maximin, et d’une Chantal de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes). Je connais bien le parler de cette région du Var pour y avoir de la famille et des amis, mais je m’interroge par avance sur le provençal de Mouans-Sartoux : on est là bien près de Grasse, et je me demande si je vais y retrouver encore les caractéristiques si particulières du parler grassenc. Eh bien le croyez-vous ? Ces deux courriers sont en rhodanien intégral… D’un côté un propos qui ne peut que susciter l’adhésion de tout amoureux du provençal tel qu’il existe vraiment, de l’autre une réalité qui en prend le très exact contre-pied. Cela s’appelle en français de l’imposture, et, dans tous les parlers d’oc, « impostura » si on l’écrit à l’occitane, « impousturo » si l’on préfère la graphie de Roumanille. Mais convenez que le résultat est le même…

Puis j’ai l’œil attiré par une page, la seizième, intitulée : « Argumentari / argumentaires », censée apporter au discours collectivo-prouvençau des arguments « irréfutables ». L’un est effectivement un argument massue : le titre du dictionnaire de Mistral, où « on remarquera que Mistral n’a pas appelé son ouvrage Dictionnaire de la langue d’oc, et encore moins Dictionnaire occitan ». Et là je crois rêver. Je relis le titre qu’ils prêtent à ce dictionnaire deux fois, trois fois, dix fois : les mots sont toujours là ! Cet ouvrage, dont je me sers tous les jours, y est qualifié de « dictionnaire franco-provençal » !… Croient-ils que le « Tresor » est un lexique du franco-provençal, dialecte de transition entre oc et oïl que les linguistes considèrent, sous ce nom précis, comme une langue autonome ? S’imaginent-ils qu’il s’agit d’un dictionnaire donnant la traduction provençale de mots français ? Sont-ils à ce point ignorants de ce qu’est ce dictionnaire pour ne même pas s’apercevoir d’un énoncé aussi aberrant ? Ou cherchent-ils sciemment à masquer ce qui saute aux yeux lorsqu’on regarde le vrai titre (voir plus haut), qui montre bien qu’en utilisant la formule dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne Mistral nous dit, de la façon la plus nette qui soit, qu’il emploie ici le mot « provençal » comme synonyme exact de « langue d’oc » ? Quelle que soit la réponse à cette question, il en résulte une évidence : les « arguments irréfutables » exhibés par le « Collectif Prouvenço » n’ont nul besoin d’être réfutés : il suffit de les citer…

Comme il suffit de les lire pour mesurer toute l’inanité de leur démarche folklorisante, censée défendre la culture provençale. Si les manifestations de ce type avaient le moindre pouvoir pour aider à sa promotion, voilà beau temps que le provençal aurait sa place dans toutes les écoles de Provence, tandis qu’à Arles, qui bat tous les records de farandolades, il serait la langue de l’enseignement, voire de l’administration… Mais voyez plutôt (N° 15, page 14) leur compte-rendu de la prestation qu’ils assurèrent naguère aux Baux au mariage de Jean Reno : « les gens des groupes folkloriques ont eu l’impression de n’être considérés que comme des animaux enfermés dans des cages, et auxquels les invités devaient jeter des cacahuètes… » Et à quoi s’attendaient-ils donc ? À ce qu’on leur lance des olives locales AOC ? Croient-ils donc vraiment que les touristes devant qui ils s’exhibent ordinairement les considèrent de manière si différente ?

Et que dire de leurs délires paranoïaques sur « l’idéologie panoccitane qui veut faire disparaître la Provence » (même page) ? Les « Occitans », armés d’une baguette magique (décorée bien évidemment d’une croix « de Toulouse »), vont-ils faire entrer la Provence tout entière dans un chapeau pour en ressortir un lapin ? Ou ces « occitanistes infiltrés partout » (N° 15, page 4) vont-ils, grâce à ces infiltrations, provoquer quelque tsunami qui enverra nos belles Arlésiennes rejoindre les pingouins de la grotte Cosquer ?

Mais assez galégé. Il y a bien plus grave. Passons sur la question répétée à quatre reprises à des quidams : « Que penses-tu de l’offensive des intégristes occitans pour nous inclure dans leur grande Occitanie séparatrice de la France ? » (N° 16, page 25). Rien de nouveau sous le soleil qui énerve les cigales : on la brandissait déjà contre Mistral et les Félibres cette accusation de « séparatisme »… Le « séparatisme » occitan n’a certes pas vraiment fait grand bruit en France depuis le XIXe siècle, mais sait-on jamais ? Des fois que l’accusation puisse resservir un de ces jours dans le cadre de quelque dérive sécuritaro-identitaire… Tenez, imaginez qu’on en vienne à concevoir un ministère ayant dans ses attributions l’identité nationale : peut-être pourrait-il s’en inquiéter ?

Mais comment accepter ces mots à la page 10 : « Beaucoup de Provençaux ont œuvré dans la Résistance tandis que l’ancêtre de l’I.E.O. était lié au gouvernement de Vichy » ? Inutile de rappeler ici la séduction exercée par le maurrassisme de Pétain sur beaucoup, mais vraiment beaucoup, de « Provençaux ». Qui ne la connaît ? Mais on ignore peut-être le nom du premier président de l’Institut d’Estudis Occitans, fondé en 1945 : Jean Cassou, (« Alain » dans la Résistance ). Président du Comité régional de Libération de Toulouse, il est nommé en juin 1944 par le Gouvernement provisoire de la République française Commissaire de la République de la région de Toulouse. Laissé pour mort par une colonne allemande, ce Compagnon de la Libération n’était pas encore remis de ses blessures lorsqu’il prit la présidence de l’I.E.O.

Bien sûr qu’en ces temps sordides il y eut, dans tous les camps, des lâches, des héros, et surtout des gens ordinaires. Il est hors de doute que les groupes folkloriques qui enjolivaient les célébrations pétainistes (ils y manquèrent rarement) n’étaient pas pour autant des ramassis de collabos… Mais lorsque le « Collectif Prouvenço » associe, dans une même phrase, les « Provençaux » à la Résistance , et l’I.E.O. au gouvernement de Vichy, ces gens-là ne sont pas seulement des menteurs : ce sont aussi des salauds.

Jean-Yves ROYER

Pupille de la Nation

Chevalier des Arts et Lettres

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