C’est d’abord « une petite courge » nous apprend le dictionnaire niçois-français-italien de l’Abbé J. PELLEGRINI (1894). Ses mérites ont été chantés par Joseph Rosalinde RANCHER, un des plus grands auteurs de la renaissance linguistique niçoise du XIXème siècle :

« Farsit e cueç au four, de piciou cougourdon »
(farcies et cuites au four de petites courgettes).

La culture du cogordon

Mais on désigne aussi par « cogordon », le fruit sec et non comestible celui-là, plus connu en français sous le nom de « calebasse ». C’est le cogordon de la fête niçoise qui porte son nom, le « lagenaria vulgaris » de la grande famille des cucurbitacées. Dans le Pays-Niçois on sème ses graines le samedi Saint, veille de Pâques, pour que la récolte soit saine et abondante. Si vous oubliez de les semer ce jour-là, vous pouvez essayer en avril et mai dans une terre riche en fumure ou engrais. Le cogordon est une plante rampante ou grimpante selon les cas. La plante possède des fleurs mâle et femelles de couleur blanche et réclame beaucoup de soleil, d’eau et d’engrais pour que ses fruits arrivent à maturité au mois d’octobre. Ils sont verts et ne prendront leur couleur brune ou miel qu’au printemps suivant. Pendant l’hiver, il est conseillé de les entreposer dans un endroit sec et aéré afin que les cougourdons sèchent, durcissent comme du bois et surtout ne pourissent pas.

Chaque forme porte un nom différent : la « bachorla » sert à faire des gourdes, des poires à poudre de chasse ; avec la « còssa » on confectionne des louches, écumoires ou cuillères à olives ; la « serp » (serpent) de forme allongée, devient pelle à purin ; la « meravilha » (merveille) est une variété dont on fait des gourdes artistiques.

Une fête pour le cogordon

L’influence du cogordon sur la vie niçoise est telle qu’il possède sa propre fête : « lo festin dei cogordons ». Cette manifestation se déroule à Nice chaque année per « l’Anonciada » (l’Annonciacion) en principe le 25 mars (ou le jour des rameaux) sur la place du Monastère et dans les jardins des arènes de Cimiez. A cette occasion, paysans, artisans et artistes présentent leur production de cogordons bruts, pyrogravés ou peints à un public de connaisseur et enthousiaste qui vient s’approvisionner. Bien entendu les gourdes, écuelles, louches et autres ustensiles ont laissé place aux réalisations artistiques. De nouveaux créateurs comme le plasticien Raoul GAGLIOLO en perpétuant et en développant la tradition ont promu le cogordon au rang d’œuvre d’art par leur talent et leur imagination.

Cette fête trouve ses origines dans de lointaines cérémonies païennes liées à la fertilité et au retour du printemps. Elle constitue la première manifestation d’importance après le Carnaval et inaugure ainsi tout un cycle festif qui du mois de mai aux fêtes patronales nous conduira jusqu’à la fin de l’été.

Ce festin permet aux Niçois de faire en famille leur premier pique-nique de l’année au milieu d’un parterre d’oliviers centenaires. Tout au long de la journée, des marchands proposent des plats traditionnels tels la « pissaladiera »(tourte à l’oignon, anchois et olives noires), le « pan-banhat » (pain rond garnis d’anchois ou de thon ainsi que les légumes et condiments qui composent la salade niçoise), la « torta de blea » (tourte salée ou sucrée, truffée de pignons et raisins secs), la « fogaça » (fougasse) et le « chaudeu » (échaudé mou parfumé a « l’aiga nafa » (eau de fleur d’oranger) ou dur à l’anis).

Tobiie SMOLETT (1721-1771), médecin écossais, premier « touriste » du Pays-Niçois nous livre dans ses lettres de Nice sur Nice son témoignage et son incompréhension au regard de ces « festins » :

[ hommes et femmes] se réunissent après l’office dans leur plus beaux habits et dansent au son des violons, des fifres et du tambourin, ou plutôt du fifre et du tambour. Il y a des étalages d’ambulants avec de la pacotille et des bibelots pour cadeaux, des gâteaux, du pain, des liqueurs, du vin ; en général toute la société de Nice s’y rend. J’ai vu toute notre noblesse à l’un de ces festins, qui se tenait sur la grande route en été, mêlée à une foule immense de paysans, de mules, d’ânes, couverte de poussière et transpirant par tous ses pores dans la chaleur excessive de l’été. Je serai bien embarrassé de dire d’où peut naître leur plaisir dans ces occasions ou d’expliquer pourquoi ils vont à ces rendez-vous, à moins que cela ne leur soit prescrit comme une pénitence ou comme un avant goût du purgatoire. (Nice 1764)

Plus près de nous, « lo festin dei cogordons » a été chanté par Joseph Rosalinde RANCHER dans une de ses œuvres maîtresses « La Nemaïda » (1823) :

« Lou festin es degià plen d’un monde infinit
De gòrba de ciaudeu pareisse ben garnit
».
(Le « festin » est déjà plein d’un monde infini
De corbeilles d’échaudés il paraît bien garni).

Enfin, au début du siècle, Menica RONDELLY, barde niçois, accorda sa lyre pour chanter les cogordons et saluer la rénovation des coutumes :

Es ancuei, belle Babeta
Lou festin dei cougourdons
Duerbe la tieu fenestra
Per audi lu rigaudon
(C’est aujourd’hui, belle Elisabeth
Le « festin » des cougourdons
Ouvre ta petite fenêtre
Pour entendre les rigaudons…).

(à suivre…)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *